La famille Muré est une des plus entreprenantes et des plus accueillantes d’Alsace. Elle pratique une viticulture d’élite et respectueuse depuis de nombreuses années. Le vignoble spectaculaire du Clos Saint-Landelin, au sud de Rouffach, orienté plein sud avec ses grands murs terrasse sur un des sols calcaires les plus purs du département possède une bien curieuse histoire. Les Alsaciens sont convaincus que pendant l’occupation par l’armée victorieuse de Bismarck en 1871, tout a été fait pour favoriser la production de vins allemands par rapport à leurs concurrents français. À Rouffach, c’est bien l’administration allemande qui a renforcé, construit et réparé ces fameux murs, sans doute par le travail forcé des prisonniers comme cela se pratiquait alors. Je peux me tromper et les Muré nous le signaleront immédiatement. Nous sommes au sud de Colmar et le micro-climat accentue jusqu’à la caricature la chaleur continentale des étés et le manque d’eau. Ici, le calcaire permet à la vigne de mieux se comporter en période de grande sécheresse que les granits voisins.
Toujours à la pointe du progrès technique, armés d’un anticonformisme viscéral, sur des raisins très mûrs et peu chargés en acide malique, les Muré depuis longtemps favorisent la fermentation malolactique, ce qui affecte la saveur et la forme d’un cépage comme le riesling, habitué à des climats plus froids qui le contrarient. Les habitudes gustatives des amateurs, sauf ceux qui par sagesse ou modestie se laissent aller à leur propre plaisir, sont contrariées tout autant. J’avoue avoir il y a vingt ans été intrigué et souvent perturbé dans mes convictions par ce nouveau style, largement répandu depuis, aussi bien sur les rieslings que les sauvignons et les chenins. J’avais donc gardé en cave quelques bouteilles pour voir si le vieillissement rétablissait l’équilibre qui semblait manquer et mettait aussi bien en valeur l’expression du raisin et du sol. J’ai profité du confinement pour ouvrir le millésime 1999, millésime chaleureux et abondant. J’ai pris mon temps pour laisser développer tout son caractère dans le verre. Le vin ne ressemble à rien d’autre de ma connaissance. D’abord par sa couleur avancée, et certainement pas ambrée, plutôt lumineuse avec des nuances rouge safran peu courantes. Le nez puissant n’est ni de la famille des fleurs, ni de celles des fruits, ni même des notes amères et terpéniques qui sont la définition même du cépage. Au contraire, l’expression puissante et complètement étrangère à la notion de fruit, impossible à décrire par des mots, semble venir du tréfond du sol. Cela ne doit pas étonner, les terroirs à très forte personnalité, c’est sans doute le cas du Vorbourg comme, dans un tout autre style, le Rangen de Thann, dominent et même parfois écrasent l’expression variétale. La construction du vin en bouche est monumentale, avec une vinosité qui manque cruellement à tant de cuvées affadies, mais toujours chères et célèbres de Bourgogne. La sensation sucrée est évidente en fin de bouche, même si elle semble en fusion complète avec l’alcool et partie intégrante de la saveur. (Axel Marchal de l’ISVV de Bordeaux, au secours pour m’expliquer la chose). Bref, c’est impressionnant, original, vraiment “sui generis” comme on le dit en latin et en droit, mais cela questionne sur l’accord met-vin. Avec quoi boire ce champion ? Il tiendra sur les épices, pas les épices douces type thaï/coco, celles à base de coriandre en grain, de gingembre, sans piment. Il supportera une petite charge en sucre et en caramel et, surtout, des sauces courtes et fortement réduites de cuisson rôtie de canard, à la shanghaïenne. On est vraiment avec ce type de vin entré dans l’univers des saveurs de la gastronomie de l’Est et du centre de l’Europe et on quitte celle des beurres à la française ou des cuissons vapeur des poissons.
Domaine Muré, clos saint-landelin, vorbourg grand cru, riesling 1999