Je continue mon parcours aléatoire des rieslings que je possède, avec d’autant plus de délectation et aussi de tristesse liée à leur conformisme, que mes invités snobs et sans une vraie curiosité d’amateur, me demandent toujours d’ouvrir une bouteille de chardonnay bourguignon (ils connaissent ma cave). Je ne leur ai pourtant jamais caché mes goûts et mon envie de les faire partager. En Bourgogne, les chablis qu’ils méprisent dans leurs délires sur les vins de Côte d’Or et les rieslings des deux rives du Rhin. Donc je me rattrape. Après la Rheingau, ma chère Alsace, si souffrante en ce moment. Pendant de nombreuses années, le regretté Jean Meyer fut mon collègue à l’Académie du vin de France. Merveilleux gourmet, homme raffiné et d’une rare culture, il rédigeait comme personne le compte rendu des voyages d’étude des académiciens dans les vignobles du monde. Dans sa propriété de Turckheim, il s’était spécialisé dans la production de vins secs délicats, digestes qu’il adorait boire tous les jours. Sans négliger les vins de crus avec ses belles parcelles du fameux coteau du Brand. Ses filles continuent magnifiquement son œuvre, après avoir converti l’ensemble du vignoble à la viticulture biodynamique, ce qu’il aurait bien sûr encouragé.
Ce 2004, dans mon esprit, devait contraster complètement avec le Gräfenberg allemand ouvert il y a deux jours. Le Brand est un terroir granitique, au sol très différent du métamorphisme de Kiedrich. Le micro-climat chaud et sec du sud de Colmar pousse parfois le cru à se caricaturer quand, sur les sables, le manque d’eau de l’été stresse la vigne. Les années d’alternance de soleil et de pluie l’exaltent et, parfois, encouragent le développement du botrytis. La robe de ce 2004 était encore jeune, avec un début d’évolution vers l’ambre. Avec les vieux rieslings de 15 à 30 ans, à leur apogée dans l’expression du terroir, la température de service joue un rôle capital. Trop froid, en dessous de 10°C, le vin reste muet. Il s’ouvre lentement à partir de 12°C et trouve son expression la plus juste vers 14°C. En l’occurrence une expression discrète et qui demande une certaine culture du vieux vin pour être comprise du premier coup. Le premier coup de nez évoque la prune quetsche cuite, celle des tartes, avec une touche de cannelle, ce qui n’est plus un arôme à la mode florale comme on les aime aujourd’hui. Si on lui laisse dix minutes pour devenir plus complexe dans le verre, cette petite note oxydative se rafraîchit et le vin part avec discrétion sur l’abricot et les fruits jaunes, rehaussé d’un soupçon d’amertume terpénique liée au cépage. Le botrytis se sent de plus en plus, apportant ses nuances de confiserie et cachant la salinité du granit. Ici aussi, une pointe de sucre résiduel équilibre une forte acidité, avec un peu plus de lourdeur que dans le Gräfenberg de l’autre jour. Il faut naturellement un peu d’imagination pour lui trouver un plat le mettant en valeur. J’imagine, par exemple, une quiche salée au saumon et potimarron. Bon, le problème est que, confinement oblige, je ne peux pas me faire livrer les ingrédients sur l’instant et que j’aurais eu bien du mal d’ailleurs à en optimiser la cuisson. Le feuilleton riesling n’est pas terminé, tant pis pour les snobs.
Josmeyer, brand, riesling grand cru 2004