Dévoilé hier, le classement 2020 des crus bourgeois médocains distingue 249 châteaux. Jusque-là, rien de nouveau. Ce qui change, c’est que c’est pour cinq ans. Et que trois niveaux composent désormais cette mention qui met en lumière environ 30 % de la production du Médoc. Cru bourgeois, cru bourgeois supérieur et cru bourgeois exceptionnel (quatorze propriétés sont concernées ici*), c’est comme avant et c’est pour le mieux, comme l’explique le président de l’Alliance des crus bourgeois, Olivier Cuvelier
Entretien réalisé par Louis-Victor Charvet
Comment ce nouveau classement s’inscrit-il dans l’histoire de la mention ?
La mention historique, utilisée et établie dans le Médoc depuis le XVe siècle, rassemble un nombre important de châteaux, environ un tiers de la production médocaine. Le premier vrai classement des crus bourgeois est celui de 2003. Il a été annulé en 2007 et la mention a été interdite par l’Etat jusqu’à ce qu’un nouveau classement soit décidé. À partir du millésime 2008, l’Alliance a créé, pour sortir de cette impasse, un classement annuel avec un seul niveau, sans catégorie et sans hiérarchisation. Ce système a fonctionné pendant dix ans, jusqu’au classement du millésime 2017, le dernier en date. Depuis cinq ans, on travaillait à l’élaboration d’un classement quinquennal et au retour d’une hiérarchisation.
Pourquoi ? Le classement annuel n’était plus pertinent ?
C’est un format épuisant, une machine un peu folle qui tourne sur elle-même. Tous les ans, c’est une épée de Damoclès pour les propriétés. Ce n’est pas simple à gérer et, surtout, ce n’est pas fluide pour le commerce. Qu’ils vendent en direct ou en passant par l’intermédiaire du négoce, les crus cherchent à s’engager auprès de leurs clients sur plusieurs années. Le classement pluriannuel était devenu nécessaire. Et la hiérarchisation aussi, car c’est difficile de communiquer efficacement sur des crus qui ont tous le même statut. Les acheteurs prennent les références qui sont vendues le moins cher et exigent de tout le monde que ce soit la norme de prix. Hiérarchiser va permettre de retrouver des locomotives et de tirer l’ensemble vers le haut.
A quoi correspondent les trois niveaux du classement ?
Après réflexion, décision a été prise d’utiliser les catégories historiques. Le consommateur les connaît, c’est cohérent. La porte d’entrée de cette hiérarchisation, c’est la dégustation. Cinq millésimes en bouteilles d’une propriété à l’aveugle contre un seul auparavant. C’est cette étape qui doit déterminer si le vin a le potentiel ou non pour être soit cru bourgeois, soit cru bourgeois supérieur, soit exceptionnel. Si la propriété atteint une certaine note à la dégustation, elle fait partie des admissibles et peut prétendre à la mention cru bourgeois supérieur ou exceptionnel. À partir de là, c’est un nouveau processus. Une commission d’experts étudie un dossier anonyme d’une cinquantaine de pages sur la propriété. Deux spécialistes s’y déplacent pour vérifier la cohérence du dossier et le respect d’un certain nombre de critères.
Qui juge ces propriétés ?
Le jury est composé d’un président et d’un vice-président, de deux membres des comités de dégustation et de deux jurés supplémentaires, l’un dédié au marketing, l’autre à la partie technique. Son rôle est d’extraire, à partir des dossiers, les crus qui atteignent un certain nombre de points pour être classés supérieur ou exceptionnel de ceux qui ont eu, à la dégustation, les notes suffisantes pour espérer l’être. Il n’y a ni obligation d’en créer, ni numerus clausus.
Et quels sont les critères évalués ?
Il y en a plusieurs. L’un d’entre eux est d’être inscrit dans une démarche environnementale, en étant certifié au minimum HVE2. C’est un sujet que l’Alliance, à l’avenir, devra suivre de près. Il y a un critère technique qui porte sur la récolte, le vignoble, le chai, le conditionnement des étiquettes et le stockage et, enfin, le système qualité. Un autre critère évalue la mise en valeur du site, la qualité d’accueil des professionnels et des particuliers, la promotion individuelle et collective du cru, son mode de distribution, sa valorisation nationale et internationale. Un point par critère. Il faut douze points minimum pour rester dans la catégorie des crus bourgeois supérieurs. Parmi ceux-là, le jury extrait la pointe de la pyramide, les exceptionnels.
Qu’advient-il d’un potentiel cru bourgeois supérieur qui n’atteindrait pas ce niveau de points ?
Ce qui est remarquable dans ce nouveau mode de fonctionnement, c’est que ce cru n’est que potentiellement supérieur grâce à son succès à la première étape, la dégustation. Si après étude du dossier, il n’obtient pas le nombre de points requis pour rester dans cette catégorie, il redevient cru bourgeois, sans autre mention. L’objectif est vraiment de créer un classement des propriétés.
Peut-on dire qu’il y a un style cru bourgeois différent selon les mentions ?
Ce n’est pas aussi simple. Cet ensemble de vins constitue un panel de crus. Les catégories correspondent à trois différents niveaux d’exigence. Ce qui est intéressant dans ce nouveau classement, c’est la dégustation de cinq millésimes. C’est un moyen de saisir le style d’un château, d’estimer le potentiel de vieillissement du vin, de se rendre compte de la plus ou moins grande stabilité de sa qualité selon les années, en fonction des millésimes, etc.
Dans le Médoc, on dit toujours que le terroir est différent de l’autre côté de la route. Ce classement
doit chercher à valoriser la diversité du vignoble
La reprise des trois catégories permet au consommateur de comprendre la hiérarchie qui existe entre elles. Mais est-ce que ça n’ajoute pas encore un classement à Bordeaux ?
C’est la garantie d’un vin de qualité reconnu et certifié, dégusté à l’aveugle et approuvé par un jury d’experts. Rien que ça, c’est unique dans le monde. Ça permet une meilleure lisibilité. Les crus bourgeois représentent quand même pas mal de bouteilles (environ 28 millions, ndlr). Le consommateur doit comprendre qu’il y a une différence de qualité entre les crus. C’est important et c’est rassurant. Notre démarche est accompagnée le bureau d’inspection Quali-Bordeaux. C’est un organisme indépendant qui est là pour contrôler notre travail.
Le bordeaux est réduit par ses détracteurs à une version du vin bodybuildé, concentré, pas toujours digeste. Est-ce que le style des futurs crus bourgeois s’éloigne de cette vision ?
Il y a une évolution, oui. Mais c’est un mouvement général à Bordeaux et les crus bourgeois vont eux aussi dans ce sens-là. Pour le consommateur, l’acte d’achat d’un cru bourgeois n’est pas celui d’un cru classé. Les gens acceptent que ces derniers soient des vins difficiles d’accès dans leur jeunesse. Les crus bourgeois sont consommés pour la plupart au bout de trois ou quatre ans. Il faut être vigilant à ce que les vins gardent cette aptitude à être bus rapidement. L’Alliance est organisme de promotion. Donner une direction globale à nos adhérents, c’est quasi impossible. Cette révolution des crus bourgeois est un moyen pour Bordeaux de relancer la machine. Il se passe des choses. On se remet en question. Ça montre le dynamisme du vignoble.
* Les crus bourgeois exceptionnels sont : les châteaux d’Agassac, Arnauld, Belle-Vue, Cambon La Pelouse, Charmail, Malescasse, de Malleret et du Taillan dans l’AOC haut-médoc ; en listrac-médoc, le château Lestage ; en AOC margaux, les châteaux d’Arsac et Paveil de Luze ; en AOC saint-estèphe, les châteaux Le Boscq, Le Crock et Lilian Ladouys.