« Tout ce que ce beau mot de vendanges semble promettre » (Colette), il est possible d’aller le vivre de près dans un certain nombre de domaines. Goûter les grains dodus, gorgés de jus, couper quelques grappes, suivre leur parcours du tri jusqu’à la mise en cuve, partager des moments de fête avec le vigneron et son équipe. Il y a beaucoup à apprendre et cela donne un petit supplément d’âme au nouveau millésime. À vos sécateurs, prêts, partez
par Pascale Cassagnes
Le diplôme est au bout du rang
C’est en passe de devenir une tradition en Alsace. De septembre à fin octobre, un certain nombre de domaines, dont Beck Francis & Fils à Epfig, Wach à Andlau, Schlumberger à Guebwiller ou encore Specht à Mittelwihr, invitent les amoureux de la vigne à partager l’expérience des vendanges. Une petite introduction théorique est utile – présentation des cépages, explication des indices de maturité, etc. – avant d’entrer dans le rythme de la récolte, suivie du pressurage, de la dégustation du moût et d’un repas bien mérité. À la clé, le diplôme de « vendangeur d’un jour ».
L’un des tout derniers bordeaux des îles
Une vigne comme un coquillage posée au milieu des eaux : l’île Margaux est la dernière des îles de l’estuaire qui s’égrènent entre le bec d’Ambès et Pauillac où l’on produit encore du vin. Dans un microclimat rythmé par les marées et sur un terroir original d’argiles bleues litées de sable, 14 hectares de merlot, cabernet-sauvignon, petit verdot, malbec et cabernet franc sont cultivés en bio. « Un vrai conservatoire du vin de Bordeaux », se targue le propriétaire, Gérard Favarel, qui ouvre sa petite île chaque année en septembre pour accueillir – et embarquer – les vendangeurs.
Domaine de l’Ile Margaux – Bordemer, 33460 Margaux-Cantenac
Dans la peau d’un vigneron du Médoc
Entre Margaux et Saint-Julien, les 40 hectares de vignes d’un seul tenant du château Malescasse ondulent sur leurs croupes graveleuses autour d’une élégante chartreuse. Acquis en 2012 par Philippe Austruy (Peyrassol en Provence, Casemore en Toscane, Quinta da Côrte dans le Douro), le domaine a étoffé le calendrier de ses activités. L’ambiance incomparable des vendanges se vit ici dans les vignes, le temps de s’initier aux gestes de la récolte ; au chai, où l’on suit les cabernets et merlots qui façonnent déjà un futur cru digne de ses racines et, enfin au château. Le soir venu, chambres et suites nous tendent leurs lits douillets. Se glisser dans la peau d’un vigneron ne veut pas dire renoncer au confort et au raffinement.
Château Malescasse. 6, chemin du Moulin Rose, 33460 Lamarque
Pourris, mais nobles
Autour du château Sigalas Rabaud, le plus petit des premiers crus classés de Sauternes avec ses 14 hectares d’un seul tenant, les doux coteaux brillent d’un bel éclat doré. Sous l’action des brumes matinales, du vent et du soleil, le botrytis cinerea (la fameuse « pourriture noble ») peaufine son œuvre. Le grain rôti demande une attention soutenue et un doigté sûr. La cueillette de haute précision se fait à l’épinette, petit sécateur pointu, par trise successives. Visiter le vignoble à cette période permet d’apprécier en détail et en action le savoir-faire de l’équipe, les complications du sauternes et de partager le repas des vendangeurs au bout des rangs.
Château Sigalas Rabaud. Rabaud-Sigalas, 33210 Bommes
Un « climat » d’exception
« C’est en faisant que l’on apprend », s’enthousiasme Michael Baum, le propriétaire de ce célèbre domaine de côte de Beaune qui invite les amateurs à participer à la cueillette, à assister au début du processus de fermentation et à goûter dans les caves le vin tiré du fût. Et quel plus bel écrin pour faire ses premiers pas que le mythique clos Marey-Monge et ses sept terroirs distincts qui s’assemblent pour donner les cuvées Vivant Micault, Simone et Clos Marey-Monge monopole ?
Au cuvier, Emmanuel Sala, le directeur du domaine, explique les étapes de la conversion du clos en biodynamie avant l’indispensable déjeuner qui réunit vendangeurs pro et amateurs.
Château de Pommard. 15, rue Marey Monge, 21630 Pommard
La plage et la fête
Quand le raisin est cueilli, on se réjouit. Depuis vingt-quatre ans, le temps d’un week-end, Banyuls rassemble près
de 10 000 personnes autour d’une grillade sur la plage avec des bandas (fanfares) et des danseurs de sardane, entre autres traditions. Le dimanche après-midi, des barques catalanes accostent sur la plage centrale pour débarquer symboliquement quelques comportes (barriques locales) de raisins. Ce moment très attendu commémore une spécificité banyulenque ancestrale : le transport de la vendange par barque, des abrupts coteaux pieds dans l’eau jusqu’au village.
Fête des vendanges 2019 à Banyuls-sur-Mer, 9-13 octobre
L ’effervescence, il y a un avant
À l’heure où les coteaux de la côte des Bar sont encore enveloppés de brouillard, la maison de Barfontarc invite les visiteurs à se mêler à la troupe des vendangeurs pour cueillir les raisins destinés à produire une dizaine de cuvées. De retour à la cuverie, le ballet bien orchestré du pressoir et le rappel des différentes étapes de la champagnisation mettent en appétit avant la pause déjeuner. Au cœur de la vallée de la Marne, la maison Xavier propose aussi de découvrir l’effervescence dans les rangs de vigne et les saveurs d’un repas de vendanges qui pétille. Rappelons qu’en Champagne, la vendange manuelle est obligatoire.
Champagne de Barfontarc. Route de Bar-sur-Aube, 10200 Baroville
Champagne Xavier Leconte. 7, rue des Berceaux, 51700 Troissy-Bouquigny
Coteaux et troglos
Le « vin de taffetas » cher à Rabelais naît à Vouvray sur des coteaux de silex où le chenin jongle avec les styles, sec, demi-sec, moelleux. Vendangé à la main et à la machine, le fin cépage vouvrillon se découvre du raisin au verre au domaine Alain Robert, sous la conduite de Myriam Fouasse Robert, la femme de Cyril qui a repris le domaine familial avec sa sœur Catherine. Après la récolte, dégustation du jus qui coule du pressoir et de « bernaches » (moûts tirés des cuves et barriques) dans la cave troglodyte, puis déjeuner tourangeau typique avec ses rillettes de poisson de Loire, fromages de chèvre et charcuteries. Samedi 28 septembre à partir de 9 h.
Vignoble Alain Robert. Charmigny, 37210 Chancay
Autour du piton de Sancerre
Pendant toute la durée des vendanges, la structure Berry Province nous emmène dans les vignes de Sancerre. Cette année, rendez-vous chez Vincent et Adélaïde Grall pour une initiation aux techniques de récolte manuelle. Devant le saisissant paysage de coteaux vallonnés dominés par le fameux piton, on dégaine une bonne bouteille et un crottin de Chavignol. Après un déjeuner au village et un passage à la Maison des Sancerre, retour à la cave pour voir les sauvignons blancs et pinots noirs arriver au pressoir en grains entiers. « Ce qui garantit le respect des arômes et facilite le tri. C’est un travail difficile et pénible que la qualité du jus obtenu vient récompenser. »
Domaine Vincent Grall. 149, avenue Nationale, 18300 Sancerre
Même en métro
En saison, les Parisiens sont invités à empoigner le sécateur. Si la récolte du célèbre clos Montmartre1 et de la plus confidentielle butte Bergeyre, trop pentue pour des néo-viticulteurs, est assurée par les agents de la Ville, les mini-vignobles municipaux des parcs Georges-Brassens (XVe), de Bercy (XIIe) et de Belleville (XXe) sont ouverts au public depuis 2015. Ces vendanges participatives drainent de plus en plus de monde chaque année et suscitent « un enthousiasme général », souligne Sylviane Leplâtre, œnologue des vignes de Paris. « Les participants vendangent souvent pour la première fois et ils le font à Paris, ce qui est exceptionnel. »
- Vinifié, mis en bouteilles et commercialisé par le Comité des fêtes et d’actions sociales (COFAS) du XVIIIe arrondissement de Paris.
D’Artagnan veille au grain
Au pays de d’Artagnan, dont le village natal est à quelques longueurs d’épée, les vignerons de Plaimont ouvrent aux amateurs leurs vignes de saint-mont, madiran, pacherenc-du-vic-bilh au moment crucial de la récolte afin de leur permettre de « vivre de l’intérieur la naissance d’un nouveau millésime, de toucher du doigt les avantages de la vendange manuelle, l’importance du tri. » On s’exerce aussi à distinguer les typiques cépages tannat, pinenc, colombard, gros et petit manseng qui entreront dans les assemblages avant de partager un succulent casse-croûte vigneron que n’aurait pas boudé Porthos.
Plaimont. 199, route de Corneillan, 32400 Saint-Mont
En version latine
Passer la grille du mas des Tourelles, c’est faire un bond de plus de vingt siècles en arrière, à l’époque où s’élevait ici une villa gallo-romaine vouée à la culture de l’olive et du raisin. Pendant une après-midi, on y suit en direct la cueillette dans la vigne conduite à l’antique sur treilles, pergolas ou oliviers. Dans la cave reconstituée, le fouloir (calcatorium) et le pressoir à levier en bois (torcular) s’animent. Dans les dolias débute la vinification des cuvées Mulsum, Turriculae et Carenum, réalisée d’après des méthodes décrites par des auteurs latins (Caton, Columelle, Pline, Palladius). Les verres se remplissent, nunc est bibendum (trinquons maintenant).
Mas des Tourelles. 4294, route de Saint-Gilles, 30300 Beaucaire
Un grand moment en Dentelles
De tout temps, vendanger rime avec grandes tablées. De celles qui métamorphosent la fatigue en bonne humeur. C’est dans cet esprit que la coopérative Rhonéa a concocté la “vendange des chefs”, un week-end 100 % épicurien dans le massif des Dentelles de Montmirail, à Beaumes-de-Venise, joli village au joli nom. L’appétit s’ouvre dans les senteurs des grappes fraîchement coupées, en arpentant les parcelles avec les artisans-vignerons. à proximité des muscats à petits grains, la table est dressée en plein air pour un déjeuner en six services réalisé par des chefs locaux en accord avec une sélection de vacqueyras, gigondas, muscat de Beaumes-de-Venise. Les 14 et 15 septembre.
Rhonéa. 228, route de Carpentras, 84190 Beaumes-de-Venise
Cet article est paru dans EN MAGNUM #17, daté du 6 septembre 2019. En kiosque.