Une vision intense, le regard fixe et droit, des yeux d’un noir de jais entourés de paupières saillantes expriment la pleine assurance du mâle dominant au sein de la colonie. La photo électrise, emprisonne à merveille la puissance de l’animal sauvage. Cette image, c’est l’affiche de l’exposition Cross River, sanctuaire d’une vie sauvage actuellement présentée au château Lafon-Rochet, à Saint-Estèphe en Gironde, en plein cœur du Médoc viticole.
Du 29 mai au 31 août, le photographe Mathieu Garçon, collaborateur de plusieurs médias dont En Magnum, accroche dans le cuvier de ce célèbre quatrième cru classé en 1855 une vision inspirante et lumineuse de son voyage sur les hauts plateaux de Lebialem, au Cameroun. Plus exactement, dans le sanctuaire de Tofala Hill, où vivent encore une soixantaine de familles de gorilles de Cross River, une espèce menacée par le braconnage. Selon le WWF (World Wildlife Fund ou Fonds mondial pour la nature), il resterait moins de 200 à 300 gorilles recensés vivant entre Nigéria et Cameroun, autant dire, la limite d’extinction de l’espèce. Alors, une zone de paix a été créée, en accord avec des ONG, notamment la fondation Erudef (Environment and Rural Development Foundation).
Inutile de lutter contre les braconniers ce serait vain. Il est préférable de leur apporter un savoir-faire et un métier. Dans ce cas, ce sera l’huile de palme. « En créant ce sanctuaire, l’association a développé des activités économiques et sociales génératrices de revenus dans les villages situés en périphérie avec pour objectif de préserver et protéger une biodiversité animale et végétale endémique dont la richesse est incontestable, sur un territoire de 8 000 hectares », explique Mathieu Garçon. Sur une telle superficie, on imagine que la recherche des primates, en plein cœur de la forêt subtropicale, dans une zone de vallées fertiles et de collines abruptes, fut un périple. Chercher les gorilles n’est pas chose aisée. Même les rangers, les gardiens du sanctuaire, ne savent où trouver les singes. Seuls les ex-braconniers connaissent les habitudes de ces majestueux hominiens.
De cette quête, Mathieu Garçon a tiré des moments de vie. Du ramassage d’un régime de bananes qu’un jeune garçon porte sur sa tête, dans une chromatique verte et subtile, aux doigts élancés d’un homme portant machette, saisissant instantané aux couleurs ambivalentes en passant par la fabrication de l’huile de palme où les corps luisants et musclés d’un noir d’ébène tranchent avec les machines jaunes et sales, Mathieu Garçon fixe dans le quotidien le réalisme d’une vie rugueuse dans une nature hostile. On pense alors aux heures de marche, à travers une forêt dense, à l’attente lancinante et forcément fébrile du photographe à l’affût pour obtenir de tels clichés. Il est vrai que face à ce primate, à ses yeux expressifs, à sa stature large et râblée, on se sent comme happé par la force du regard, par la puissance des animaux, fussent-ils sauvages.
Dans une luminosité parfaitement maitrisée, avec un grain idéalement retranscrit, les photos de Mathieu Garçon nous emportent en quelques instants dans les forêts brumeuses de Tofala Hill. Envahi par le regard de l’animal, on se sent ailleurs. Remonte alors en nous l’impérieuse nécessité de sauvegarder ces animaux sauvages, de contribuer à la survie de l’espèce et de concourir à une collaboration pacifiste entre anciens braconniers et gorilles. C’est heureux, les photos exposées sont en vente et le bénéfice sera reversé, bien évidemment, à la fondation Erudef. Et le rapport entre le Château Lafon-Rochet et cette exposition me direz-vous ? Aucun, mis à part les liens d’amitié entre les propriétaires du château, Michel et Basile Tesseron, et Mathieu Garçon. Ou peut-être si, en y réfléchissant, un seul trait commun : l’amour du beau. Qu’il soit à tout jamais emprisonné dans une bouteille ou retranscrit sur une photo.
Yohan Castaing