Tous les deux ans le magazine italien « Civilta del bere » (« Civilisation du boire ») organise son événement vitivinicole, VinoVip, au début de l’été. L’occasion de se rendre à Cortina d’Ampezzo, célèbre station de ski, pour respirer de l’air pur, rencontrer ceux qui font le vin en Italie, et surtout goûter leurs vins. Tour d’horizon de ce qui s’est dit et bu lors de cette onzième édition.
Par Gilles Durand, envoyé spécial à Cortina d’Ampezzo
Cortina d’Ampezzo, un nom qui claque. La célèbre station de ski de Vénétie a accueilli les jeux olympiques de 1956. Par la suite, tout ce que la planète comptait de jet-set y est venu en vacances. Aujourd’hui le village reste chic et cosy. Il se prête bien en ce début d’été à accueillir tout ce que le monde du vin italien compte de producteurs, œnologues, sommeliers, ainsi que quelques journalistes étrangers. VinoVip propose trois tables-rondes et un grand entretien sur deux jours, ainsi que plusieurs « tastings ». Cette année les thèmes des débats étaient « La force de la terre » sur les sols viticoles, « Communiquer la complexité » sur les subtilités du vignoble italien, et « Vers la vinification sensible » sur les nouveaux modes de production. Des thèmes sérieux mais qui, faute d’un travail de préparation suffisant, consistent à donner la parole pendant dix minutes à chaque intervenant plutôt qu’à débattre. Avec le résultat attendu : certains viennent les mains dans les poches et vous bombardent de banalités, mais ils sont reconnaissants à l’organisateur d’avoir été mis en valeur, tandis que quelques-autres, qui ont minutieusement préparé leur intervention, n’ont jamais assez de temps. Le côté « happy few » nous a bien amusé, avec des intervenants à peine présentés, puisqu’il est évident qu’on est ici entre nous et que tout le monde se connaît.
Chacun parle à son tour
Au jeu de la prise de parole, on a beaucoup regretté de ne pas entendre plus longuement Andrea Leonardi, le très apprêté directeur opérationnel de Bertani Domains, avec son pantalon feu de plancher, obligatoire ces jours-ci en Italie. L’homme a intelligemment défendu le concept de « viticulture de précision ». Il a raconté comment, depuis le début des années 2000, il a peu à peu fait évoluer ses méthodes et découvert les caractéristiques des différents domaines du groupe, que ce soit à Montalcino ou en Sicile. Pour lui 2004 a été une date majeure avec l’arrivé de… Google Earth, qui lui a permis de faire un travail de précision sur ses vignes. Aujourd’hui il surveille la maturité de ses parcelles par satellite, ce qui coûte moins cher qu’on ne le pense, et chaque parcelle est vendangée en plusieurs fois, en fonction de la maturité. On l’aurait bien écouté dix minutes de plus, mais la fin de son exposé sur les différents modes de culture a malheureusement été tronquée. Parmi les autres intervenants on notera Pedro Ballesteros Torres, commissaire européen, qui a dit que « La complexité est locale, et la simplicité globale », David Way du WSET (Wine and Spirit Education Trust) qui a vendu le Diploma qui mène au Master of Wine comme l’assurance d’appartenir au petit club des gens qui comptent dans le monde du vin, et le bien nommé journaliste italien Bruno Vespa qui a rappelé « qu’il faut simplifier la complexité en se mettant au niveau de celui qui écoute et pas de celui qui parle ».
L’élevage en cuves ovoïdes : une fable qui fait chic.
Le lendemain, celui qui parle était Ricardo Cotarella qui, évidemment, n’a pas été présenté vu que tout le monde le connaît… Cet œnologue conseil serait un peu l’équivalent de Michel Rolland chez nous. Sa famille est propriétaire d’un domaine en Ombrie, et il conseille à peu près tout le monde depuis quarante ans. Il est revenu sur son parcours et sa carrière. On retiendra qu’il n’a voulu faire de peine à personne en ne citant pas vraiment les bouteilles qui l’ont marqué, mais qu’il se souvient bien de son premier voyage à Saint-Emilion en 1987 où il a été surpris que là-bas « Tout parlait du vin : l’air, la terre, les vignes, les gens ». En tant que scientifique il insiste évidemment sur le rôle de l’homme, rappelant par exemple que Bolgheri sous-région de Toscane réputée, notamment grâce au Sassicaia, est un terroir nouveau intégralement façonné par l’homme et planté de cépages qui n’ont rien d’autochtone. Evidemment, son discours d’oenologue ne serait pas complet sans un petit ricanement sur les lubies contemporaines de certains, Cotarella balayant d’un revers de la main les amphores, les œufs (« une fable, mais qui fait chic ») et autres vins naturels. Peu de temps après, on s’est retrouvé à discuter avec un vigneron reconnu, très investi dans la biodynamie, et « les fables », qui s’est fait un plaisir de nous dire que Cotarella, c’était la vieille œnologie ringarde. Bref, on ne s’ennuie jamais dans le monde du vin.
Il n’y a pas que le Piémont et la Toscane dans la vie… mais quand même.
Mais au-delà de ces chicaneries d’égo et de techniques, tout à fait dignes du vignoble français, on a surtout pu goûter de nombreux vins italiens. La première dégustation consistait à mettre en avant quinze « jeunes vignerons » de régions plutôt moins connues. Mais c’est évidemment dans les régions connues qu’on a trouvé notre bonheur, avec par exemple la jeune Sophie Conte (Toscane), qui n’a rien de français, si ce n’est son prénom. Elle a repris depuis trois ans la Fatorria Tregole avec un enthousiasme désarmant. On a beaucoup aimé une certaine recherche de pureté et de légèreté dans ses chiantis, appellation où on est trop souvent tombé dans le passé sur des vins extraits et boisés. On n’a malheureusement pas beaucoup discuté avec la respectable Signora Donatella Cinelli Colombini (Toscane), nettement plus réservée, mais dont les assemblages de sangiovese en appellation Orcia nous ont également séduits.
Mais notre coup de cœur aura été le débonnaire Paolo Ghislandi (Piémont) de la Cascina I Carpini qui présentait ses vins de cépages autochtones avec un enthousiasme débordant. Ancien cadre dans l’industrie alimentaire, il y faisait du packaging, il s’est reconverti dans la vigne, et il a eu raison. Grâce à lui on a pu faire la connaissance du timorasso, un cépage blanc qui donne un vin expressif, presque miellé au nez, mais dont l’amertume en bouche bouleverse les repères. On a pu goûter aussi son albarossa, un hybride de barbera et de nebiollo, ainsi qu’une barbera d’un âge honorable (2008) qui était fondue et présentait des arômes de tabac blond. Le tout est en appellation Colli Tortonesi, soit le Piémont qu’on connaît mal, et c’est hautement recommandable.
Cépages autochtones et liquoreux des îles
Le soir on montait en téléphérique à 2472 mètres, à Ra Valles, craignant que le ciel ne nous tombe sur la tête au vu des éclaires lointains. Mais c’est le lendemain que le gros des producteurs était présent sur le sommet d’en face, à Faloria. On y trouvait du lourd, comme les toscans Marchesi Antinori et Tenuta San Guido, dont le fameux Sassicaia fait toujours forte impression, ou Pio Cesare pour le Piémont. Mais nous on voulait faire des découvertes. Même si Feudi di San Gregorio en Campanie ne nous était pas inconnu, on a pu apprécier les trois vins présentés, tous différents. Le sympathique spumante à base de greco, Dubl Esse, c’est son nom, présente une légère oxydation, sans doute l’héritage d’Anselme Selosse avec lequel ils avaient initié ce projet de vin pétillant, un segment de marché qui cartonne à l’export pour les italiens. D’ailleurs, dans ce registre, on mentionnera en appellation franciacorta le Contadi Castaldi Rosé de Terra Moretti, soit un assemblage de vingt pour cent de chardonnay et quatre-vingt pour cent de pinot noir, à la couleur très délicatement rosée, et avec une bouche très fine sur la framboise. Pour vingt-deux euros au domaine, ça nous a semblé une affaire. Mais revenons à Feudi di San Gregorio, car c’est leur Serpico, un aglianico de 2012, qui nous a bluffé avec ses arômes de cerise noire et des tanins onctueux à souhait.
Reste que le vin qui nous a fait tourner la tête, à moins que ce soit l’altitude, restera le Ben Ryé des siciliens de Donnafugata. Bien sûr qu’on a apprécié auparavant leur frapatto, ce cépage autochtone de Sicile qui, contrairement au nero d’avola, donne des vins fruités et digestes. Mais notre Ben Ryé, un liquoreux de muscat d’alexandrie (qu’ils appellent zibibbo) en appelation passito di pantelleria, est un véritable « sauternes killer ». Le nez est très riche, on dirait du jus de miel, mais avec cette fraîcheur d’abricot ou de zeste d’orange qui fait qu’il n’est pas lourd. Pareil en bouche, où la rondeur est très bien contrariée par un côté presque acidulé qui rappelle l’orange. On a eu envie de voler toutes les bouteilles, mais on est resté serein devant les magnifiques paysages de montagne que le lieu nous offrait.
Ce voyage VinoVip nous aura rappelé que l’Italie est non seulement un pays merveilleux, mais qu’il est au moins aussi passionnant que la France en terme de terroirs, de cépages et d’appellations. Si tout le monde connaît le chianti, pas forcément le bon d’ailleurs, ou le barolo, les régions à découvrir sont innombrables. Allez-y en vacances et n’hésitez pas à faire des découvertes. Et surtout, pensez à remonter votre pantalon au-dessus des chevilles si vous êtes un garçon et à mettre une robe flamboyante si vous êtes une fille. Vous passerez inaperçu.