Bordeaux a-t-elle mérité la chance insigne qui lui a permis de surmonter toutes les difficultés du cycle végétatif de 2016 et de produire en volume plus que confortable (5,5 million d’hectolitres) de grands vins, dont les meilleurs entreront dans l’histoire? À chacun de juger. Rappelons les grandes lignes d’un parcours cahotique terminant en triomphe. L’hiver est fort pluvieux avec plus de 500 mm d’eau, dont près de la moitié en janvier, soit trois fois le volume normal de précipitation. Les sols sont gorgés d’eau particulièrement sur les argiles. Mais comme ces pluies diluviennes ont été accompagnées d’une grande douceur (moins de cinq nuits avec température négative) la vigne débourre début mars en avance. Las, quelques gels fin avril et un mois de mai plutôt pluvieux retarde la végétation, mais surtout crée une humidité propice au développement des maladies cryptogamiques, avec une pression de mildiou terrifiante qui demandera d’utiliser les grands moyens (main d’œuvre et produits de traitement) pour sauver l’état sanitaire du vignoble. Quelques propriétés y perdront quand même un bon tiers de leur récolte faute de pouvoir traiter toutes leurs vignes en 24 heures. Premier miracle, dès le début de la floraison retardée jusqu’aux premiers jours de juin, le temps se retourne et la pleine fleur se passe sous un soleil rayonnant, contrairement au reste de la France. Il n’y aura que très peu de malformation dans les grappes, contrairement au reste de la France, et une bien meilleure homogénéité probable de maturation pour les vendanges. Du 20 juin au 13 septembre un anticyclone incroyablement stable maintient un fort ensoleillement et une absence remarquable de pluie (moins de 70 % par rapport à la moyenne), créant même ici ou là des zones de fort stress hydrique (oubliées, les trombes d’eau d’hiver) et des grillures du raisin, ce qui ne sera pas oublié par le raisin. La photosynthèse n’avance pas, mais consolation du vigneron, la chaleur dégrade les infâmantes pyrazines, responsables des parfums végétaux des raisins rouges. Les nuits fraîches équilibrent la sécheresse du jour. Second miracle le 13 septembre. Il tombe de 20 à 45 mm d’eau, ce qui fait revivre la vigne, puis une petite quinzaine de millimètres le 30 septembre. Le sort en est jeté, le millésime sera tardif avec une lente, mais régulière et confortable, maturation des raisins, ce qu’apprécient particulièrement les cépages rouges locaux. On vendangera des raisins au potentiel étonnant du 15 au 30 octobre, avec pour les terroirs précoces une qualité inconnue depuis 1989. Sauternes connaîtra des secondes tries glorieuses, relativement abondantes, ce qui minimisera la perte de qualité des derniers passages.
Nos dégustations confirment la réussite générale du millésime, tout type de vin, toute couleur, tout cépage confondus. Les couleurs sont intenses, les équilibres en acidité plus affirmés qu’en 2015, les parfums à de rares exceptions près ne présentent pas de caricature solaire et confite, même sur les merlots ramassés trop tard et les tannins ferment assurent au rouge une assise confortable et un grand potentiel de vieillissement. La grande question sera celle du succès commercial de cette récolte qui dépendra sans doute de la sagesse des viticulteurs dans la fixation des prix. Nous ne pensons pas que le climat économique international favorise une forte spéculation, mais avec les marchands anglais ou américains, on ne sait jamais.