Bernard Magrez
« La Cité incarne l’image moderne de Bordeaux »
Mécène des arts plastiques et de la musique, l’homme aux 40 châteaux s’est engagé pour la Cité du Vin.
Bernard Magrez Grands Vignobles est mécène « Grand bâtisseur » de la Cité du Vin. Pourquoi ? Et combien avez-vous donné ?
A travers Luxury Wine Experience, notre activité d’oenotourisme à La Tour Carnet , Pape Clément et Fombrauges, nous avons constaté que les visiteurs qui sont à Bordeaux n’ont pas toujours le temps d’aller rive droite ou rive gauche dans les châteaux et cherchent en ville quelque chose qui les rapproche du vin. Les Champenois, eux, n’ont pas ce problème. Mais avec six millions de visiteurs à Bordeaux, on ne pouvait pas ignorer cette demande. La Cité du Vin est là pour ça. Nous en avions besoin. Et j’ai donné 500 000 euros, ce n’est pas un secret.
Que pensez-vous des polémiques bordelaises autour de la Cité : on va parler des vins du monde mais pas des nôtres…, on va détourner les visiteurs des châteaux, etc ?
Je trouve extravagant que ceux qui n’ont pas fait hier l’effort de s’organiser pour recevoir du public chez eux se plaignent maintenant qu’on va leur piquer des visiteurs. D’ailleurs c’est faux puisque de la Cité, on pourra partir en croisière sur le fleuve vers les vignobles – nous avons-nous-même pris une participation dans Bordeaux River Cruise. Tout comme je trouve extraordinaire qu’on se mette à genoux devant le Guggenheim de Bilbao et qu’on trouve notre Cité du Vin trop futuriste. Bordeaux a besoin d’une image moderne, la Cité l’incarne.
Que pensez-vous du bâtiment ?
Il est splendide. Il était encore mieux que ça, il a été un peu revu pour des raisons de normes de sécurité.
Pourquoi est-ce en France et pas ailleurs dans le monde que cette Cité a pu voir le jour ?
La Napa Valley, l’Espagne, l’Italie nous ont montré la voie de l’oenotourisme. Mais pour le monde entier, Bordeaux égale vin et inversement.
Que signifie pour vous le terme de civilisation du vin ?
La vigne a traversé les âges, le vin a été le vecteur d’innovations, d’idées. Les deux ont nourri le monde, l’histoire du monde. Le vin hier était une nourriture, aujourd’hui c’est un plaisir, un sujet de conversation, un marqueur social.
Qu’est-ce qui vous fascine le plus dans l’épopée du vin ?
Le vin en tant que symbole chrétien.
Vous dévorez les biographies d’hommes célèbres. Avec qui auriez-vous aimé converser autour d’un verre de vin ? Pour parler de quoi ?
Voltaire, un athée qui, à la fin de sa vie, a dit : « L’univers m’embarrasse et je ne puis songer que cette horloge existe et n’ait pas d’horloger ». Rien que pour l’emmerder, je lui aurai servi du Pape Clément !
Robert de Luxembourg
« La Cité, c’est un toast aux civilisations du vin »
Propriétaire de château haut-brion, le prince de Luxembourg, à travers sa fondation familiale, est Bâtisseur d’Honneur et président du comité d’orientation culturelle de la Fondation pour la culture et les civilisations du vin.
Vous êtes l’un des tout premiers mécènes de la Cité. Pourquoi ce projet vous a-t-il séduit ?
Alain Juppé a réuni dès 2008 les représentants des premiers grands crus pour présenter le concept d’une future Cité du vin. Pour moi, c’était une évidence que ce projet devait exister en France – l’importance de la culture y est telle qu’on peut y faire aboutir ce type de projet en toute légitimité, et à Bordeaux, une ville de partage, d’influences, d’où le vin est exporté depuis toujours vers toutes les tables du monde. Bordeaux reste la ville du monde la plus identifiée avec le vin. Le challenge d’avoir sur le port un temple du vin qui puisse faire rayonner cette culture internationale, m’a plu. C’est excitant.
Le mécénat est dans la tradition américaine, et dans celle de la famille Dillon…
Mon arrière-grand-père Clarence Dillon (NDLR : l’acquéreur de Haut-Brion en 1935) et mon grand-père Douglas Dillon (NDLR : l’ambassadeur des Etats-Unis en France de 1953 à 1957) ont toujours mécéné la culture, en France comme aux Etats-Unis. Donc le Clarence and Anne Dillon Dunwalke Trust a immédiatement dit oui à la Cité du Vin.
Domaine Clarence Dillon est « bâtisseur d’honneur », ce qui indique que vous avez contribué pour au moins un million d’euros. Quel est le montant exact de votre engagement financier ?
Je ne crois pas utile de le préciser. Il est plus intéressant d’indiquer que la Cité du Vin, qui a coûté 81 millions d’euros, a recueilli 19 millions via le mécénat privé, un record pour ce type d’équipement culturel. Il y a une vraie cohésion aujourd’hui qui va au-delà de nos intérêts économiques personnels. Il y a même une fierté. Et désormais les entreprises et les particuliers peuvent aussi devenir mécènes.
A part les American friends of La Cité du Vin*, les mécènes internationaux sont absents…
C’est toujours difficile de convaincre en phase projet. Mais ils viendrontnaturellement à travers nos expositions, par le sponsorship.
Que signifie pour vous « civilisation du vin » ?
Une histoire commencée il y 9000 ans, la consommation d’un produit transformé par l’homme, un produit de partage… la Grèce antique où le vin accompagne l’échange d’idées philosophiques et politiques… les religions… Haut-Brion s’inscrit naturellement dans cette histoire, avec ce « new french claret » qui arrive à Londres au XVIIe siècle et réunit au Pontac’s Head les esprits brillants de l’époque, avides d’idées nouvelles. Haut-Brion a aussi appartenu à Talleyrand, le symbole de la diplomatie française. Aujourd’hui encore, quand les chefs d’Etat, quel que soit le pays, reçoivent, il y a toujours un toast avec un verre de vin. Le vin nous rapproche, c’est un symbole fort. La Cité du vin, c’est un toast aux civilisations du vin.
Vous présidez le comité d’orientation culturelle. En quoi consiste votre mission ?
A réunir autour d’une même table douze personnalités internationales du vin et de la culture pour guider, soutenir les projets de la Cité, et mettre bénévolement notre expérience et nos relations à son service. C’est du networking global.
En 2017, la Cité donnera carte blanche à la Géorgie, premier vignoble invité. Pourquoi ce choix qui peut paraître confidentiel ?
La Cité du Vin ne doit être ni élitiste ni aller vers la facilité mais doit parler à tout le monde, initiés, curieux, néophytes. La Géorgie est légitime car c’est l’un des berceaux de la viticulture. Nous allons faire découvrir une histoire extrêmement riche, c’est notre rôle.
Vous aimez l’art, vous avez étudié la sculpture, vous avez été scénariste. Est-ce que tout cela vous inspire des idées pour la Cité du Vin ?
Cela m’a en tout cas aidé à comprendre ce projet et à m’y projeter. Travailler sur des idées de film pour la Cité, pourquoi pas ? Mais ma part créative aujourd’hui est plutôt dans le business.
Une des animations de la Cité est le Banquet des hommes illustres. Qui inviteriez-vous à votre Banquet ?
En fait, je l’ai déjà créé, mon banquet des hommes illustres, à travers les huit dîners donnés dans le monde pour les 75 ans de l’acquisition de château haut-brion. Chaque fois, 75 personnes de toutes nationalités – astronautes, designers, musiciens, acteurs, architectes, politiques…- réunies autour de nos vins et de mets de grands chefs. Nous avons amené notre culture vers leurs cultures. C’est ça, la magie du vin !
*American Friends of La Cité du Vin, présidée par Robert Wilmers, propriétaire de château haut-bailly, et George Sape.