Notre retard à signaler la disparition d’Henri Bonneau il y a une semaine tient à notre tristesse à tous. Je ne trouvais pas les mots pour dire – à son fils, en particulier – combien il va nous manquer et partager sa grande peine. Henri était devenu bien malgré lui une légende, peut-être un mythe malgré l’extrême modestie de sa vie de tous les jours et la toute petite taille de son vignoble. Mais on ne pouvait oublier l’homme, les lieux et ses vins dès qu’on avait la chance de le rencontrer dans sa petite maison du cœur du village, aussi anonyme que possible. Son regard bleu, sa gouaille de titi provençal, sa conception noble de l’artisanat vigneron, son goût des choses simples et vraies, comme son fameux bœuf carottes ou sa caillette provençale, alpha et omega de sa vision gastronomique du monde (a-t-il fait manger autre chose chez lui ?) le rendait infiniment sympathique. Mais pour devenir mythe, il lui fallait la cave la plus insolite du monde, fondation de sa maison, et ses petits labyrinthes de barriques presque centenaires, sur un sol de terre battue enrichi par cinquante ans de l’ADN de tous les visiteurs dégustateurs. La profondeur et le moelleux incomparable de ce qu’on y goûtait défiait les lois ordinaires de l’œnologie et rappelaient que le génie du terroir est dans le raisin et la patience d’un long élevage. Les vieilles vignes de la Crau signaient la monumentale Réserve-des-Célestins, une des marques commerciales les plus anciennes de Châteauneuf, presque centenaire, vin culte dont il vendait toujours quelques bouteilles à prix d’ami, justement à ses amis, complètement étranger à la folie du monde. Dans ses dernières années, fatigué par l’âge et par les épreuves de la vie, il avait confié à Daniel Combin, qui s’en est acquitté avec loyauté, la commercialisation de son vin et la protection de sa famille. Il ne sera sans doute plus possible à quiconque de produire à nouveau des vins d’un tel caractère et on espère évidemment que son vignoble continuera à faire du beau vin.
Photo : coste-du-rhone.com