Prosecco Superiore, la terre originelle
Prosecco, des bulles légères et pas chères au bord de la rupture ? Peut-être, mais connaissez-vous le « Conelgliano Valdobbiadene Prosecco Superiore », érigé en 2009 en DOCG (une appellation plus stricte que la DOC, l’AOC italienne) ? A la vue de ce coquet vignoble aux pentes vertigineuses qui se nichent dans le contrefort des Dolomites, à quatre-vingts kilomètres de Venise, on comprend qu’il se passe quelque chose sous le bouchon. Découverte en cinq épisodes, toutes antennes dehors.
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Mille heures par an
Alors la DOCG se bat. Pour justifier le prix d’une bouteille, deux fois plus élevée que la DOC. « C’est bon, mais n’avez-vous pas un DOC ? », s’entendent dire les Nino Franco et Bisol dans leurs négociations commerciales. La DOC nargue même sa grande sœur. A la bourse de Trévise, le prix au litre de DOC a dépassé le prix du DOGC (2,60 à 2,70 euros contre 2,40 à 2,50 euros), tant la demande en DOC est forte et la pénurie guette. Un comble ! Les producteurs de DOCG, malgré leurs coûts de production dix fois plus élevée qu’en plaine, se voient contraints de déclasser leur vin.
En plaine, on utilise la machine à vendanger et le tracteur. En Prosecco Superiore, les pentes raides comme des murs accaparent les travailleurs entre 700 et 1 000 heures par an, à 8 euros de l’heure minimum. Le mode d’élaboration reste le même, de la cuve close et de l’ajout de sucre et de levures pour la seconde fermentation.
Rien n’empêche, en revanche, un DOC bien fait d’être de meilleure qualité qu’un DOCG mal fagoté, comme dans toutes les régions du monde.
Sous les pieds du glera
Crapahutons sur les collines et observons ce mystérieux glera qui feint d’avoir cent ans alors qu’il n’en a pas dix, et ses compagnons d’origine les perera, verdiso et bianchetta, autorisés à hauteur de 15 % avec le pinot, chardonnay et le glera lunga. Les vignes sont bien tenues, aux densités de 3 000 à 4 500 pieds hectare, taillées en Guyot (qui remplace la traditionnelle taille Sylvoz), largement enherbées. Peu de trace d’herbicide. Cuivre et soufre sont légion. Le pays des viticulteurs dans l’âme. En cave, c’est le règne de l’œnologie italienne, des machines hyper pointues, des filtres dernier cri, des cuves où l’on se mire, du matériel médical générateur d’ozone chez Adami pour stériliser les cuves ! Le tout géré par de grands professionnels, de la vigne au marketing, certains innovant de façon réjouissante, comme Marchiori (voir le site marchioriwines.com).
Les vins sont propres, lissés, même en DOCG, avec pour beaucoup d’entre eux, peu de surprise et de vibration pour l’amateur de sensations fortes. Des bulles fraîches, des vins faciles, légers, croquants, sans vice ni vertu, des vins pour fêter, des vins pour le table quand il s’agit de dry, à l’aise sur les paste, les rizotto et les tiramisus. Et surtout, des vins à sabler tout de suite.[/col][col width=”six”]
Une pyramide artificielle sur le papier annonce des « rive » ( 43 en tout ) des « crus » mettant en avant les différentes parcelles et altitudes. Mais la cuve close et le glera ne permettent pas de vraies variations gustatives. D’ailleurs, peu de producteurs les mettent en avant, chacun y allant de son propre cru, de sa propre sélection de vieilles vignes ou clos monopole, compliquant l’étiquette à souhait. Ou de sa propre marque.
Les bonnes trouvailles
Dans cette marée de vins agroalimentaires (dans le bon sens du terme, des vins bien élaborés grâce à une méthode assumée), il faut frapper aux bonnes portes et goûter les bonnes cuvées. Les Vecchie Viti de Ruggeri, les cuvées haut de gamme de Mionetto, les vins bourrés de caractère de Marchiori, le Bosco di Gica et le Col Credas d’Adami, la Cuvée del Fondatore brut de Valdo (six mois en autoclave), les délicieuses gammes de Le Vigne di Alice et de Sorelle Bronca… Des hommes et des femmes amoureux de leur terre, qui ajoutent un petit plus, montrent la voie et le potentiel de ces vins et peut-être aussi du terroir.
Le mode d’élaboration peut faire la différence. Les sœurs Bronca ajoutent pour la deuxième fermentation le jus de raisin conservé jusque-là en cuve réfrigérée, et du sucre de raisin, plus onéreux. Les mousseux gagnent en fraîcheur et en gourmandise.
Certains s’essaient à la méthode traditionnelle, parfois surprenante, d’autres, comme Bisol ou Villa Sandi, en ont fait un axe majeur de leur production, et les Col Fondo, fermentés en bouteille, apportent le petit peps nécessaire à une consommation de masse. Après quelques jours et de nombreuses visites, le prosecco parle. Il parle Superiore. Il nous parle d’un vignoble, d’un terroir, de professionnels à la pointe de la technologie, de cuvées qui méritent largement l’attention. Plus qu’un phénomène, en effet. Grazie, Giancarlo !
*Giuliano Bartolomiol, Dreaming of Prosecco, d’Ettore Gobbato, Veronelli Editore, 2009.
À LIRE | > Épisode 1 : Retour sur les origines du « monstre »> Épisode 2 : 2009, l’année charnière du Prosecco Superiore> Épisode 4 : Les quatre forces économiques du prosecco |
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