Prosecco Superiore, la terre originelle
Prosecco, des bulles légères et pas chères au bord de la rupture ? Peut-être, mais connaissez-vous le « Conelgliano Valdobbiadene Prosecco Superiore », érigé en 2009 en DOCG (une appellation plus stricte que la DOC, l’AOC italienne) ? A la vue de ce coquet vignoble aux pentes vertigineuses qui se nichent dans le contrefort des Dolomites, à quatre-vingts kilomètres de Venise, on comprend qu’il se passe quelque chose sous le bouchon. Découverte en cinq épisodes, toutes antennes dehors.
« Le prosecco est un phénomène », constate avec tristesse Giancarlo Vettorello. Cet italien pure souche me quitte en cette matinée de mai avec ce cri du cœur. Il espère que je vais les aider, comme tous les journalistes qui grouillent dans la région, à changer l’image de ce monstre qui a trop grossi ces dernières années. Il en est malade, le monstre. Il crache des bulles, envahit les gondoles allemandes, australiennes, brésiliennes, américaines, des faux, des vrais, des secco, des progecco, des piusecco, des trisecco… Le nord de l’Italie s’est mis à genoux pour servir ce marché lucratif : plantation de vignes à gogo, ventes de propriétés aux Américains pour un sourcing (approvisionnement) assuré. En cinq ans, ce mousseux italien a doublé de volume pour atteindre 306 millions de bouteilles vendues, plus qu’en Champagne.
« C’est ancré, c’est notre terre. »
Mais les excès ont des limites. Le millésime 2014 riquiqui (demi-récolte) doublé d’une demande en hausse de 20 % entraîne une rupture de stock et une probable pénurie pour cet été, extrêmement dangereuse pour l’édifice italien. Et oui, facile de rafler les consommateurs avides de bulles à bas prix, entre 2 et 5 euros la bouteille en magasin ! Autre secret de ce succès populaire : le Spritz, un cocktail mariant Campari ou Apérol et prosecco, siroté par les jeunes et moins jeunes autour de Venise et dans toute l’Italie, et maintenant en France. Sans oublier le Bellini, autre cocktail créé en 1948 au Harry’s Bar, à Venise, le péché mignon d’Ernest Hemingway à base… de pêche et vendu aujourd’hui à l’aéroport.
Pendant ce temps, « el cuore » du prosecco, lui, saigne. Les producteurs de la région d’origine, six mille hectares flanqués sur les collines escarpées du contrefort des Dolomites, n’avaient pas prévu ça.
« Notre vin a une origine. Il est issu d’un beau vignoble, vous avez vu ! Nous ne sommes pas qu’un phénomène », continue Giancarlo. Il tape sur son cœur avec son poing. « C’est ancré, c’est notre terre. » Lui, c’est le directeur du « Consorzio Tutela del Vino Conegliano Valdobbiadene Prosecco Superiore DOCG », l’interprofession basée à Solighetto, dans la Villa Brandolini.
La « viticultura eroica »
Sa terre, c’est la terre d’origine du prosecco, là où la vigne a toujours été cultivée, depuis les Romains. Celle où tout démarra en 1868 avec Carpenè Malvolti, initiateur du prosecco dans l’histoire avec la première mention « Prosecco di Conegliano » inscrite sur l’étiquette en 1924.
Sa terre, c’est un ravissant vignoble aux pentes incroyables, aux paysages de rêve qui tranchent avec l’image trop souvent insipide du mousseux, aux routes en lacets, aux clochers de charme. Ce sont aussi des maisons cossues à l’architecture plus européenne qu’italienne, transpirant la richesse récente, aux caves trop petites pour assimiler cette mode mondiale.
Sa terre est située au nord du large Piave, des monts autour de 500 mètres d’altitude, des pentes jusqu’à 70 % permettant de qualifier le vignoble de « viticultura eroica » (viticulture héroïque), des sols variés, moraines, conglomérats, argiles, marnes… Et un climat idoine qui ondule en fonction de l’exposition et de l’inclinaison du versant.
À LIRE | > Épisode 2 : 2009, l’année charnière du Prosecco Superiore> Épisode 3 : Le vrai visage du Prosecco Superiore> Épisode 4 : Les quatre forces économiques du prosecco |
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