«Un système dans lequel le vin n’est plus un produit mais un objet.»

Thierry Desseauve :

Comment vivez-vous le fait qu’aujourd’hui on ait délaissé les bordeaux pour d’autres régions et d’autres types de vins, naturels, bio ?

Stéphane Derenoncourt :
Je le vis très mal. Cela me paraît parfaitement injuste et aujourd’hui nous en connaissons les raisons. Il y a eu une dérive du marché à laquelle s’est ajoutée une arrogance, pourrait-on dire commerciale, chez les crus les plus spéculatifs, qui a fait exploser le marché. D’une offre cohérente en rapport qualité-prix, on est passé à un système dans lequel le vin n’est plus un produit mais un objet. On achète un lafitte comme on achète un sac à main. Payer 1 200 euros un lafitte 2010 en primeurs alors qu’aujourd’hui personne n’en veut pour la moitié est en soi une aberration. Je pense qu’il est temps de briser l’omerta d’un système qui ne fonctionne pas et de montrer du doigt ces médias qui refusent de dénoncer ces pratiques craignant de se faire écarter par les châteaux.

T. D. : Est-ce la faute des journalistes ?

S. D. : Non, surtout celle de la chape de silence qui entoure ces pratiques. Cette pression médiatique exercée sur 0,2 % de la production entache l’image d’une région toute entière et la blesse dans sa culture, faite de petits producteurs et portée par un dynamisme extraordinaire. C’est sans aucun doute la région qui dans le monde a le meilleur rapport qualité-prix, avec la possibilité aujourd’hui de boire un grand vin pour dix euros. Et de voir que par effet de mode on écarte toute cette production m’attriste beaucoup.

T. D. : Ceci est notamment dû à cette tradition du commerce des vins à Bordeaux.

S. D. : Oui, c’est inscrit dans l’histoire de Bordeaux qui n’a jamais eu, pour ainsi dire, un marché stable. Cette année notamment, avec 2009 et 2010, Bordeaux a connu beaucoup de pertes de marchés. Et quand Bordeaux perd un marché, cela n’induit pas que le client arrête d’acheter mais plutôt qu’il va acheter ailleurs. Le processus de récupération de ces marchés risque d’être fastidieux et douloureux. Dans l’idéal, il faudrait une prise de conscience accompagnée d’une solidarité entre petits et grands pour relancer la machine.

T. D. : Courteillac, Grée Laroque, Pin Beausoleil, etc. Ces bordeaux accessibles et bons ne sont pas pour autant ceux qui se vendent le plus facilement.


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Lire la suite de l’interview dans le N°001 de En Magnum,
en kiosque le 4 juin.


 


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