Brève – et personnelle – histoire contemporaine du vin de France
Chapitre neuf, où Lalou Bize Leroy et Michel Chapoutier engagent à leur façon la révolution bio
L’autre personnage clé de la Vallée du Rhône est sans conteste Michel Chapoutier. J’ai eu la chance de le rencontrer très tôt, alors qu’à moins de trente ans, il venait de prendre le pouvoir dans la maison familiale de Tain l’Hermitage. Contrairement à l’autre grande marque de l’Hermitage, Jaboulet, dont la cuvée la-chapelle était certainement le vin le plus régulier et le plus impressionnant qui m’ait été donné de déguster au cours d’une verticale incroyable (de 1947 à 1990) où les chefs-d’œuvres succédaient aux chefs-d’œuvres, la maison Chapoutier produisait au milieu des années quatre-vingt des vins décevants, mal mis en valeur par les choix incongrus du père de Michel, comme celui de les élever dans des foudres de châtaigner. À partir de 1987 et en très peu d’années, l’exubérant et volontaire Michel fit de cette vieille maison un producteur ultra excitant, inventant sans cesse tant dans les vins génériques que dans ces cuvées parcellaires qui sont des modèles d’excellence.
Chapoutier s’était converti dès le début des années quatre-vingt à la viticulture biodynamique, suivant en cela l’exemple de celle qui est certainement pour moi le plus grand vigneron de la planète, Lalou Bize-Leroy. Femme de convictions au caractère trempé, elle avait quitté avec fracas le Domaine de la Romanée-Conti dont elle est co-propriétaire pour reconstituer un double domaine :
crédits photo d’ouverture : http://www.brevesdefemmes.fr/
Leroy en Côte de Nuits et Auvenay en Côte de Beaune. Quand elle décida de choisir ce mode de viticulture, au début des années 90, la Bourgogne était comme on l’a vu loin d’avoir abandonné ses pratiques productivistes. Beaucoup voyaient dans ces principes bio, où l’on associe le respect des rythmes lunaires à des préparations homéopathiques, une lubie de rêveurs soixante-huitards. Qu’une femme aussi célèbre que Lalou Bize-Leroy choisisse d’appliquer ces méthodes paraissait incroyable. Lorsque le mois de juillet 1993 fut marqué par une terrible attaque de mildiou, que Lalou, se refusant à utiliser des traitements chimiques, eut du mal à maîtriser, beaucoup de vignerons nous disaient « vous voyez, ces méthodes ne marchent pas ». Pourtant, au prix d’un travail incroyablement minutieux et d’un tri à la vigne drastique, Lalou fit des vins en 1993. La plupart des critiques internationaux étaient passés à côté de ces vins miraculeux, ils nous avaient émus dès leur naissance. J’ai eu la chance de déguster plusieurs fois avec Lalou ce millésime de toutes les difficultés. Ses vins transmettent avec une précision et une tension incroyable la quintessence à coup sûr, l’âme certainement, de leurs terroirs.