Les Chinois, Jésus et moi

Les Chinois chantent la gloire de l’Enfant-Jésus. Ne voyez pas dans mon propos une quelconque tentative de prosélytisme à caractère mystique. Si d’Enfant-Jésus je parle, c’est bien de celui qui s’habille volontiers d’une culotte de velours et s’est installé au cœur du vignoble de Grèves, dans ce splendide amphithéâtre dédié au culte du vin que constitue le vignoble de Beaune. Depuis plus de deux siècles, la maison Bouchard Père et fils veille sur sa destinée (1) et le ressuscite à chaque vendange dans tout son éternel éclat. Au cours de la dernière étape de notre périple asiatique, j’ai eu la chance d’animer un formidable dîner-dégustation dans la ville Guangzhou, mieux connu des Français sous le nom de Canton, dont le beaune-grèves Vigne de l’Enfant Jésus 1961 fut le héros. Canton, dans cette Chine du sud autrement moins policée que le raffiné voisin Hong Kong, que l’austère Beijing ou que la flamboyante Shanghai, Canton où les gens parlent fort cette langue cantonnaise si chantante et haute en couleur, Canton où comme partout en Chine, on aime afficher sa réussite à grand renfort de berlines allemandes rutilantes pour les hommes et d’escarpins Louboutin pour les femmes, à Canton donc, sous l’égide de mon ami Georges, homme du cru à l’inénarrable allure de chinese lover indolent, grand connaisseur et lecteur de notre guide depuis 1996, nous voici l’Enfant-Jésus et moi, face à trente-cinq Chinois prêts à célébrer le trésor.
On imagine trop, vu de France et y compris vu des producteurs français, le marché chinois comme un regroupement de béotiens buveurs d’étiquettes – fussent-elles factices – et incapables de repérer et encore moins d’apprécier les mille et une subtilités de nos vins. Ici, tous – et presqu’autant de femmes que d’hommes – jugèrent à son extraordinaire valeur la robe juvénile, les tanins de soie et les nuances de cuir tendre, d’épices fins et de fleurs fraîches qui composaient un extraordinaire bouquet, la longueur intense de ce nectar parti pour l’éternité. Les questions fusaient, toutes plus pertinentes et précises les unes que les autres, la compréhension du vin (et des six autres qui furent servis à cette occasion) totale et, souvent, très fine. Ici, à Canton, l’Enfant-Jésus était chez lui, comme sous beaucoup d’autres latitudes. Leçon : la civilisation du vin est universelle et ses valeurs sont beaucoup mieux partagées qu’on ne le pense habituellement.

(1) Le cru appartenait sous l’Ancien Régime à un ordre religieux qui fut exproprié sous la Révolution. Les Bouchard acquirent aux enchères peu de temps après ce « bien national ».

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