La viticulture corse était présente pour son rendez-vous annuel à Paris, cette année aux caves Legrand Filles & Fils. C’est sans doute le moment pour moi d’avouer une préférence secrète pour les meilleurs vins corses, malgré les qualités éminentes de toute la magnifique bordure nord vitivinicole des trois voisins, France, Italie et Espagne. Par un mystérieux concours de circonstances, ils semblent associer le rayonnement et la sensualité des vins de soleil à la rigueur et à la finesse des vins septentrionaux, miracle dû à l’alliance rare entre la montagne et la mer, sur le lieu-même de leur naissance. Des trois couleurs, c’est toujours le blanc qui m’apparait le plus irremplaçable : le cépage vermentino, qu’on appelle rolle en Provence, sur des sols qui lui conviennent particulièrement bien, qu’ils soient granitiques comme à Ajaccio ou Calvi, ou marno-calcaire comme à Patrimonio, aidé par l’équipement technique moderne de la plupart des producteurs donne ce qui est certainement le blanc sec le plus fin du pourtour méditerranéen. On le boit trop jeune, pendant l’été qui suit la vendange, ce qui est tragique car le meilleur et le plus original du raisin vient des terpènes issus des peaux du raisin, comme pour le riesling, auquel il fait souvent penser. La question du boisé excessif de certaines cuvées ne se pose plus, les adeptes de la vinification sous bois ayant appris avec l’expérience à doser avec précision son usage. Ils obtiennent, à de rares exceptions près, un produit plus complexe, voire plus sophistiqué et demandant en général deux ans supplémentaires de vieillissement. J’aime particulièrement le Clos Canarelli à Figari, le récent, mais magistral Clos Venturi et quelques joyaux de Balagne comme le Clos Culombu, qui commencent à rivaliser avec les meilleurs patrimonios. Les muscats peuvent atteindre au sublime quand ils sont vendangés suffisamment passerillés, comme en 2007 le légendaire Muscatellu du domaine Nicrosi. En fait, il faudrait distinguer les cuvées normales, cueillies trop tôt, de forme et de saveur agréables, mais banales de ce type de vin patricien. Les rosés méritent leur réputation, avec une tendance de plus en plus marquée de les vinifier pâles, dans le type « pétale de rose », un peu comme des blancs tâchés. Les terroirs de granit montrent souvent un supplément de finesse et la modération en alcool tant aimée des connaisseurs, mais il faut commencer à se méfier de la tendance à les vinifier un peu moins secs, au goût du public international, ce qui les dénature. On peut regretter l’abandon des rosés plus colorés, issus de courtes macérations qui feraient des vins de gastronomie encore plus savoureux sur les soupes de poisson relevées, les rougets de roche et même le chevreau rôti. Les rouges progressent chaque année même si trop de viticulteurs et leurs clients aiment encore les saveurs animales et le tannin rustique qui enchantaient leurs grands-parents. Cette tradition se retrouve particulièrement à Patrimonio où la routine fait encore des ravages. Le type noble de rouge corse classique, assemblage de nielluccio et de sciaccarello est incarné pour moi par la cuvée Oriu de l’ami Imbert, mais on trouve de plus en plus de sciaccarellos purs d’une remarquable pureté et finesse sur les granits d’Ajaccio. Une génération très douée de viticulteurs, conduite par le domaine du comte Abbatucci, liée à des cavistes idéalistes comme Nicolas Stromboni à Ajaccio et à des sommeliers amoureux de leur île, s’intéresse à la restauration d’anciens cépages oubliés ce qui promet des vins encore plus passionnants dans les prochaines années. On les trouve de plus en plus présents (mais pas assez) sur le continent et à l’export dans des capitales comme Londres ou New York et c’est l’export seul qui sera capable de leur donner le rayonnement et la célébrité débordant le cercle des « happy few ».