Ne pas être sourd à l’aveugle
On pense ce qu’on veut des dégustations comparatives à l’aveugle, mais elles ont le double et insurpassable avantage de hiérarchiser loyalement les vins d’un même millésime et d’une même appellation, tout en permettant de révéler de nouveaux talents. Ce fut le cas pour la seconde année consécutive à Châteauneuf-du-Pape où tous les échantillons de 2012 et 2011 du Mas Saint-Louis ont montré une étonnante élégance et constance de style.
Une résurrection
Tout le monde avait oublié le vieux Mas, et même l’encyclopédique Harry Karis dans son indispensable somme sur les vignobles de l’appellation ne trouve rien à dire de précis. Pourtant, Louis Geniest, propriétaire du cru en 1936 lors de la création de l’AOC était une figure très connue localement et un ami proche du légendaire Baron Le Roy. Il avait constitué un confortable vignoble d’une trentaine d’hectares tout au sud, en grande partie sur la commune de Sorgues (lieu-dit Crousroute), autour d’un vieux mas qui sert de cave d’élevage. La vinification se fait au cœur du bourg de Châteauneuf, près de la Maison des vignerons, avec une petite boutique de vente. La propriétaire ne présentait jamais ses vins, mais l’arrivée d’un neveu et le dynamisme d’un jeune chef-adjoint de culture l’ont fait changer d’avis. Tant mieux.
David au pays des Goliath
La dégustation des 2012 et 2011 du domaine sera pour beaucoup une révélation surtout si leur palais a été éduqué par les finesses de Château Rayas. Le grand type classique d’un châteauneuf brille par la puissance et la chaleur de la matière et par des arômes puissants de cuir, de laurier, de truffe et d’épices. Mais ici, le grenache se fait pinot et développe des arômes de rose, de pivoine, de violette et de griotte, ce qui donne le sentiment que le vin contient beaucoup plus de syrah que les 10 % de la réalité, la délicatesse merveilleuse de sa texture sont à mettre au compte du caractère sablo-graveleux des sols de son secteur, souvent sous-estimé par les connaisseurs locaux, mais idéal pour une maturité équilibrée du raisin, avec l’aide, parfaitement légale dans l’appellation, d’une intelligente irrigation les étés trop secs. Il faut aussi féliciter les élaborateurs qui savent parfaitement doser les extractions et affiner le vin à l’élevage, ainsi que leur conseiller œnologique, le trop timide et discret Serge Mouriesse. Le vin risque assez vite de devenir culte. Qu’on en profite.