Les marques, c’est comme les gens. Quand elles sont maltraitées, elles rentrent dans leurs coquilles, se renfrognent. De désespoir, elles ne font plus attention à rien, elles sortent dans la rue en cheveux et les enfants cruels leur lancent des cailloux. Les marques sont fragiles et leur puissance, revendiquée parfois avec beaucoup d’arrogance, est mal assurée. Elles peuvent très facilement avoir connu les sommets, les trompettes de la renommée, les yeux doux des jolies filles et, sur un faux pas, sombrer dans un marigot d’où plus rien de bon ne sort.
Ainsi de Lanson.
Il aura fallu 250 ans pour faire le trajet sommet-marigot et retour. Inscrite au panthéon des belles maisons de Champagne pendant des lustres, il a suffi d’une parenthèse assez courte dans l’histoire de la maison pour faire plonger l’image. Mais pas la notoriété. Lanson = champagne est une vérité tangible. Ce constat a poussé un beau jour Philippe Baijot à reprendre la maison.
C’est qui, ce monsieur ?
Un homme de Champagne. Cavalier, marin et bon vivant. Un type en pleine forme qui a le mérite immense de n’avoir pas sa langue dans sa poche. Sauf dans les interviews, bien sûr. Mais, en off, l’homme est drôle et incisif. Il est tonique. Ce qui tombe plutôt bien si l’on considère la sorte d’Himalaya qui se dresse devant lui à l’heure où il décide de relancer Lanson. Le constat est assez sévère ; la tâche, immense.
(Naturellement, ami lecteur, tu te demandes pourquoi. Pour te faire une réponse intelligible, il faut faire un petit détour. Allons-y.)
Une maison de Champagne, ce sont des vignes (jamais assez) et des livreurs de raisins. C’est-à-dire des contrats passés avec des vignerons indépendants qui garantissent l’approvisionnement en matière première de la maison qui assure la vinification et le commerce du champagne. Un système vertueux en Champagne (depuis déjà longtemps et après bien des bagarres) qui assure la prospérité de tous. Une maison de Champagne est astreinte à un certain nombre de règles fixées pour l’essentiel par l’appellation. Respecter ces règles est le seul moyen d’obtenir l’agrément de l’appellation. Par exemple, le champagne n’est autorisé à la vente qu’après quinze mois de conservation en cave pour un brut sans année et trois ans pour un millésimé. Mais comme le secret n°1 du bon champagne est le vieillissement, la plupart des grandes maisons, dont Lanson, soucieuses de la qualité de leurs produits allongent ces délais jusqu’à trois ans pour un brut et cinq ans ou plus pour un millésimé. Tous les chefs de caves vous le diront, arqueboutés qu’ils sont sur leurs trésors, répugnant à les livrer aux équipes commerciales, les laissant toujours partir à regret.
Bref, c’est le patron d’une maison qui fait le vin, à la fin. S’il exige du chef de caves de mettre les vins sur le marché au bout des quinze mois réglementaires, le chef de caves ne peut que se soumettre ou se démettre. Peu se démettent pour d’évidentes raisons. Un patron de maison, lui, a toujours mille bonnes raisons (le coût des stocks, la sécurisation des parts de marché, la nouvelle Audi, etc.) pour justifier de mettre les vins trop tôt dans les flûtes des consommateurs.
Sauf que.