Vendanges 2013


Les vendanges du millésime 2013 sont pratiquement partout terminées à la date du 20 octobre et il y a peu d’espoir pour que le peu de raisin qui reste sur pied s’améliore. L’année restera dans les mémoires comme l’une des plus difficiles de ce nouveau millénaire, mais sans doute encore plus surprenante que difficile. Un printemps extrêmement froid et pluvieux a retardé la floraison et surtout l’a étalée sur plus de quinze jours partout en France, sauf en Roussillon. Cet étalement sera le cauchemar de tous les vignerons. Chaque pied de vigne, chaque grappe de raisin contiendra jusqu’aux vendanges plusieurs niveaux de maturité de raisin obligeant tous les producteurs sérieux à un tri minutieux et fatigant de toute la récolte. Heureusement, l’été (juillet et août) fut l’un des plus chauds et des plus lumineux des trente dernières années et, même si ces six splendides semaines n’ont pas permis de rattraper le retard de la floraison, elles ont certainement donné du goût et de la densité au raisin. Un été indien comme celui de 2010 aurait certainement donné naissance à un très grand millésime. Hélas, du 15 septembre au 15 octobre sur toute une moitié de la France, de très nombreuses averses se sont déversées du Pays basque jusqu’en Alsace en traversant la France, épargnant un peu toutefois la Champagne et Chablis. Un grand nombre d’hectares de vignes furent sévèrement ravagés en juillet par la grêle en Aquitaine (dans l’Entre-deux-mers et à Bergerac), en Touraine (Vouvray et Montlouis), en Bourgogne (Volnay, Pommard, Beaune, Savigny, Pernand-Vergelesses) et dans quelques secteurs de la Champagne, du Jura, du Beaujolais. Pour les vignerons concernés, c’est une véritable tragédie, trop peu d’entre eux ayant une trésorerie suffisante pour souscrire une assurance contre la grêle.
En attendant de déguster pendant l’hiver et le printemps les premiers vins, voici un petit aperçu de ce que mes collaborateurs et moi-même avons pu voir des vendanges.

Alsace
Les volumes de récolte seront inférieurs à la moyenne comme partout en France. Les cépages les plus précoces comme les pinots blancs, les pinots gris et les pinots noirs ont été rentrés par beau temps dans un état sanitaire excellent, avec des degrés très convenables et une acidité vive, mais pas excessive. Ils feront certainement des vins secs de qualité et de bon potentiel de vieillissement. La grande interrogation concerne les rieslings dont l’état sanitaire s’est dégradé dans de nombreux secteurs et qui n’ont pas encore atteint leur pleine maturité. Les raisins rentrés avant le 15 octobre sont un peu trop acides et il y a peu d’espoir pour récolter des vins riches de vendanges tardives et encore moins des sélections de grains nobles. Mais sur les vignes les mieux conduites et les moins chargées, on produira quelques bons vins.

Bordeaux
Les vendanges se sont déroulées entre le 2 et le 15 octobre pour toute la région, blancs secs, liquoreux et rouges récoltés dans les mêmes semaines, ce qui est très rare. Bordeaux retrouve donc des vendanges d’octobre comme il y a trente ans, avec un cycle végétatif particulièrement compliqué. Un printemps atrocement froid et pluvieux a fortement étalé la floraison et l’a retardé de plus de deux semaines par rapport à l’an dernier. La pression des maladies et en particulier du mildiou fut terrible et il fallait protéger la vigne pratiquement chaque semaine pendant deux mois. Juillet fut un des plus chauds et des plus lumineux de l’histoire laissant espérer encore une fois un retournement de situation, sauf pour le volume de récolte qui, à cause de la coulure des merlots, était réduit de moitié. Mais, à partir d’août, des périodes de chaleur et de pluie alternées ont à nouveau fait peur au vigneron et hélas sur des milliers d’hectares, dans l’Entre-deux-mers et les vignobles proches, de terribles orages de grêle ont détruit toute la récolte de façon irréversible, tandis que 5 à 10 % des surfaces des autres secteurs étaient touchés. Septembre chaud et humide créait à nouveau la crainte de départ de botrytis, ralenti heureusement par quelques très belles journées sèches. Les merlots ont commencé à être rentrés à partir du 3 octobre et les cabernets une petite semaine plus tard. Les terroirs riches en argile ont bien résisté et donneront de loin les meilleurs raisins,
les sols plus légers et sableux ont demandé un tri minutieux de la vendange, avec élimination de 20% des raisins, ce qui fut fait dans toutes les bonnes propriétés. En blanc, les secs furent rentrés très sains début octobre avec une acidité supérieure à la moyenne, et la pourriture noble s’est très vite développée à Sauternes, demandant de vendanger assez vite, mais rendant optimistes les producteurs. Les rendements sont faibles partout, 20hl /ha ou moins à Pomerol et Saint-Émilion, 25 à 30 hl/ha en Médoc, sans parler des vignobles grêlés qui n’ont même pas été vendangés. Il faudra attendre la fermentation malolactique pour bien juger les vins, mais la couleur est déjà bien soutenue et les arômes de fruits sont purs et prometteurs. Les degrés d’alcool seront plus faibles que dans les derniers millésimes, environ 13% après un degré de chaptalisation.

Bourgogne et Beaujolais
Chablis a été en grande partie épargné par la grêle, mais pas par le mauvaise floraison : la récolte sera donc faible mais encore honorable (30 à 50 hl/ha selon les endroits), avec une qualité sans doute moins homogène et accomplie qu’en 2012, mais au moins égale à 2011. Les vins sont nerveux, précis, représentatifs de leur terroir.
En Côte-d’Or, la côte de Nuits a été elle aussi épargnée par la grêle, mais la charge en raisin était minuscule en raison de la coulure importante du pinot noir liée à une mauvaise floraison. Les rendements seront très petits, rarement supérieurs à 20hl/ha, ce qui causera certainement d’importantes augmentations de prix pour les crus les plus recherchés, et pour les autres de graves difficultés financières pour les producteurs. Le risque de pourriture grise était important dans de nombreux terroirs et les vignerons ont parfois accéléré les vendanges, avant qu’une pleine maturité soit atteinte. Les vins réussis ont de la couleur, une teneur importante en acidité malique, et des parfums très frais. Ils rappellent dans certains cas les 1978 ou les 1988 et devraient bien vieillir. En côte de Beaune, la plus terrible grêle depuis trente ans a détruit une grande partie de la récolte sur Pommard, Beaune, Savigny et Pernand Vergelesses, qui ne produiront pratiquement rien, et sans grand espoir de qualité. Les chardonnays sans atteindre une grande maturité ont moins souffert dans le secteur de Puligny et les vins seront honorables mais moins concentrés que les très rares 2012. Les blancs du Mâconnais sont nerveux et assez réguliers, ils seront très recherchés. Enfin, en Beaujolais, c’est partout une petite moitié de récolte normale mais avec des raisins en général assez sains, plus réguliers que les pinots plus au nord, et de solides promesses de qualité pour les crus comme Moulin à Vent, Morgon et Fleurie.

Champagne
La Champagne est sans doute le vignoble qui a eu le plus de chance en 2013, sauf dans les vignobles de l’Aube gravement touchés par les grêles de juillet. Les autres vignobles ont généreusement produit plus de 10 000 kilos/ha, soit plus de 60 hl/ha, avec une belle moyenne de maturité, surtout pour les pinots noirs de la vallée de la Marne et les chardonnays. Les vins clairs sont élégants, nerveux, tendus, denses, assez racés et même pour le secteur d’Ay remarquables. Il y aura de nombreuses cuvées millésimées et les prix ne baisseront pas, les raisins ayant été payés plus cher qu’en 2012.

Loire
Partout une petite récolte, voire une récolte nulle sur le secteur de Vouvray, ravagé en grande partie par la grêle. Les chenins secs et surtout les sauvignons du Sancerrois seront honorables, denses, nerveux, les moelleux plus réussis qu’en 2012 et les rouges inégaux, avec parfois des vins très parfumés et assez tanniques. J’ai préféré les pinots du Sancerrois aux cabernets de Touraine.

Languedoc
Une belle année dans de nombreux secteurs, avec des vins d’excellente maturité de raisin mais sans trop de degré alcoolique, un peu moins exceptionnelle qu’en Roussillon.

Roussillon
La grande réussite du millésime, les grenaches ayant moins coulé que dans la vallée du Rhône. Les degrés seront modérés par rapport aux millésimes précédents, mais les blancs et les rouges sont souvent magnifiques, avec des syrahs et des mourvèdre exceptionnels, et les vins doux naturels de grenache grandioses.

Vallée du Rhône
Les vignerons du Nord sont heureux. Certes les quantités sont réduites, surtout en raisin blanc, mais les raisins avaient beaucoup de matière et de saveur, ce qui devrait donner des côtes-rôtie, des hermitages, des cornas,
des saint-joseph au moins aussi beaux qu’en 2012 et des condrieus exceptionnels, mais très rares. Le Sud a souffert d’une coulure catastrophique du grenache dans certains secteurs et les quantités seront parfois minuscules, privilégiant les vignobles avec une belle proportion de mourvèdre et syrah. Mais la qualité des blancs et des rouges est certaine.

Provence et Corse
Comme dans les autres vignobles du Sud, les raisins ont mieux mûri qu’ailleurs, mais avec une faible production.
Il y aura certainement des vins de haute qualité et très représentatifs de leur terroir, avec des degrés alcooliques raisonnables.

Sud-Ouest
Les vignobles fortement grêlés à Cahors ou Bergerac ne produiront pas grand-chose, avec des conséquences dramatiques pour les vignerons concernés. Les autres ont produit une petite récolte en volume, mais avec beaucoup de caractère, d’intensité aromatique et de personnalité de terroir, en blanc sec ou moelleux comme en rouge.

Michel Bettane
Photo : Pierre Grenié

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