Le vignoble français aime l'art


Le vin et l’art revendiquent la même ambition, susciter des émotions. Dans les faits, le vigneron penche davantage vers l’artisan que du côté de l’artiste. D’où une ignorance mutuelle multiséculaire. En effet, il faudra attendre 1924 pour que Jean Carlu crée la première étiquette exclusive pour la cuvée de l’année de Mouton-Rothschild. Pour le baron Philippe, il s’agissait d’apposer un certificat d’authenticité sur ses flacons. L’initiative sera pérennisée à partir de 1945 avec Marie Laurencin, Jean Marais, Jean Hugo, etc. En 1981, cette collection d’originaux est exposée par sa fille, et la règle tacite est rompue qui veut que, pour vivre heureux, les propriétaires de vignobles cachent leurs trésors. Pour autant, même quand les touristes furent admis dans les chais, il y a une trentaine d’année, l’art resta à la porte. Rien de tel en Californie. Là-bas, des wineries auront l’idée à-priori saugrenue d’installer des sculptures dans leurs vignes et d’héberger des artistes.
Avec leur sens inné du marketing, et tout en travaillent à la montée en gamme de leurs millésimes, les américains ont compris qu’il ne suffisait plus de faire du vin pour le vendre. Qualité, image de marque et storytelling, la Californie n’allait pas tarder à tirer son épingle du jeu sur un marché se globalisant à vitesse Grand Vin. Le vin français réagit. Hasard ou coïncidence, les audaces les plus prometteuses sont souvent le fruit de horsains, étrangers au sérail des dynasties de la vigne. Daniel et Florence Cathiard à Smith Haut Lafitte, Philippe Raoux (Château d’Arsac), ou Nathalie Vranken avec Pommery ne sont pas des héritiers. Ni non plus, dans un autre terroir, Maurice Giraud, qui a réveillé Pommard avec le renfort de Dali. Tous ont compris qu’ouvrir cette brèche consistant à choyer l’art permettait de desserrer le carcan de la loi Evin entravant la promotion de leurs affaires.

Espace d’art contemporain au Château de Jau

Château de Jau, le pionnier des châteaux d’art
D’après son fils, quand Delphine Dauré est arrivée au château de Jau il y a une quarantaine d’années, elle a immédiatement perçu la destination artistique qu’elle pourrait lui donner. Cette esthète, fille d’un collectionneur d’impressionnistes, était très active dans le monde de l’art. Mais sa priorité était la remise sur pied de ce vignoble de la vallée de l’Agly. Une première exposition estivale est organisée en 1975. Pour Simon Dauré, « l’union entre l’art et le vin nous a semblé être plus intéressante en terme d’image que l’éternelle exposition de vis à pressoir » pour attirer les visiteurs dans une propriété située à l’écart des circuits touristiques. Plus tard, l’artiste Ben dessinera une étiquette qui marquera les esprits. Au fil du temps, le château de Jau s’imposera comme un creuset de l’art contemporain, organisant même des résidences d’artistes. Ses dix mille visiteurs annuels repartent comblés, et avec quelques bouteilles.

Vincent Bussière

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