Bio, nature, etc.Le débat.

C’est un débat qui agite de manière récurrente le microcosme de l’internet du vin. Nous publions ci-dessous une lettre ouverte du président de la FNIVAB, Alain Réaut. Elle est adressée à Michel Bettane et Thierry Desseauve. Nous publions à sa suite la réponse de Michel Bettane.


Lettre ouverte

Messieurs Michel Bettane et
Thierry Desseauve

Courteron, le 30 janvier 2013

Messieurs,

En tant que président de la Fédération Nationale Interprofessionnelle des Vins de l’Agriculture Biologique (FNIVAB), je tiens à réagir à la tribune que vous publiez, intitulée « le vin bio de la rédemption à l’imposture », ainsi qu’au numéro de Terre de Vins auquel vous avez participé («100 bios ou tout comme »).

Je ne peux bien sûr que me réjouir de votre intérêt pour notre filière. Néanmoins, je relève certaines approximations, qui nécessitent précisions et complément d’information.

En premier lieu, l’agriculture biologique n’est pas un « concept ». Il s’agit en effet d’un signe officiel de qualité, géré par l’INAO, au même titre que l’AOC, l’AOP, l’IGP et la STG [1].

La conséquence directe de ce statut juridique est claire : il existe une réglementation européenne, que tous les vignerons doivent respecter s’ils souhaitent apposer la mention « Bio » sur leurs vins. Cette réglementation fait l’objet d’un contrôle annuel, obligatoire, effectué par des organismes certificateurs dont l’agrément dépend de l’INAO et du COFRAC.

Ce préposé est important. C’est ce qui fait que l’on ne peut pas être « Bio… ou tout comme » comme le laisse penser le dossier de Terres de Vins. Comme on ne peut pas être, puisque je suis vigneron champenois, « Champagne…ou tout comme ». On est Bio si l’on respecte le cadre réglementaire. Ou on ne l’est pas.

Nous respectons les vignerons qui se sentent proches de notre démarche, nous sommes très heureux de savoir qu’ils sont de plus en plus nombreux à faire des essais, sur des bouts de parcelles, mais « être en bio », c’est être contrôlé et certifié.

Ce rappel est d’autant plus indispensable que c’est précisément grâce à ce cadre réglementaire (qui, à ce propos, ne vous permet pas de présenter dans votre sélection des vins bio …qui ne le sont pas) que le vin biologique ne peut pas être une « imposture ».

Votre affirmation selon laquelle « Le vin bio est une utopie totale et pire, une tromperie organisée, quand il se cache derrière le vocable de vin « naturel » ou « authentique » » relève donc d’une méconnaissance sérieuse du sujet. Il existe, d’un côté, un cadre réglementaire – celui du vin bio et de la biodynamie [2]. Le vin « naturel » ou « authentique » relève quant à lui de la conception qu’en a son producteur. Les vins biologiques ne sont donc pas tous des vins « naturels », et les vins « naturels » ne sont pas tous des vins « biologiques ». La nuance est sensible, mais quand on s’adresse, comme vous le faites, au consommateur, elle doit être rappelée.

Quant au fond de votre discours, j’avoue être parfois un peu perdu.

Vous semblez en effet penser que la viticulture conventionnelle s’est « égarée depuis les années 1960 dans le piège de la productivité et de l’oubli de son fondement : la mise en valeur respectueuse et durable de terroirs exceptionnels ». Vous rappelez que les viticulteurs bio-dynamistes (et les viticulteurs bio dans leur ensemble) « s’épargnent, et ce n’est pas rien, le recours systématique et inutile à bien des produits nocifs », pour en arriver à la conclusion : « j’avoue ne pas comprendre pourquoi tant de leurs collègues n’en font pas autant ». Je ne peux, bien évidemment, que partager votre point de vue et votre interrogation.

Mais vous parlez aussi de « reculs de civilisation », comme si la réponse au « tout chimique » ne pouvait être qu’un retour à la charrue et aux bœufs, comme si les viticulteurs bio étaient des producteurs dogmatiques et obscurantistes, refusant toute notion de progrès.

Comprenez ma confusion, et, ce qui est plus grave à mes yeux, la confusion du consommateur auquel vous vous adressez.

Je me permettrais donc de vous rappeler quelques points techniques:

– Les seuls produits autorisés sur vigne bio sont « le soufre, le cuivre et la chaux ».

Cela signifie donc que la réglementation bio interdit, a contrario, l’usage des désherbants chimiques, des engrais chimiques, et des pesticides chimiques de synthèse.

L’Etat français ayant officiellement reconnu en mai dernier le lien entre la maladie de Parkinson et l’usage des pesticides chimiques de synthèse, cette précision méritait d’être apportée car, effectivement, « ce n’est pas rien ».

– En ce qui concerne le cuivre, molécule utilisée par tous les viticulteurs, Bio et conventionnels, les doses utilisables sont limitées [3]. Et c’est faire injure à l’ensemble de la profession, à laquelle vous appartenez, que de considérer que « Nul ne voit d’inconvénient à accumuler dans le sol le cuivre, molécule qui ne s’élimine pas ». C’est justement parce que l’usage de cette molécule nous préoccupe tous que les viticulteurs bio sont parvenus, grâce à leur expérience, grâce à la recherche, à rester très en deçà des doses autorisées [4]. C’est encore parce que nous ne sommes pas des irresponsables que bien des instituts techniques viticoles ont mis en place des programmes de recherche, depuis des années, sur les réductions de doses et les alternatives au cuivre. Vous voyez, nous sommes déjà loin des « reculs de civilisation » que vous mentionnez.

– Quant à l’hypothèse du « génie génétique », là encore, votre propos me semble confus.

Si vous parlez ici de transgénèse, cela ne peut pas être une voie pour la viticulture bio, vous le savez, puisque notre réglementation européenne interdit, en bio, l’usage des OGM. Opposer « le lobby bio » qui « crie au scandale », les « esprits faibles » contre les chantres du tout génétique, c’est simplifier, là aussi, le débat. A l’heure où même la Commission européenne semble très embarrassée sur ce sujet, où la cacophonie règne au sein des Etats membres, où le consommateur refuse à ce point d’ingérer des OGM que certaines enseignes de grande distribution garantissent le « sans OGM », je ne suis pas certain que l’on parle là d’une grande avancée de civilisation.

Si votre propos concerne en revanche la sélection massale, je ne peux bien sûr qu’aller dans votre sens, puisque c’est justement l’un des objectifs de la bio que d’utiliser des espèces et des plants les plus adaptés à leur environnement, tout en respectant la biodiversité, indispensable à une vraie viticulture durable. La filière bio participe aussi, sur ce sujet, à des programmes de recherche. Ainsi, vous le voyez, là aussi, la nuance est de taille.

Je m’arrêterais là, car, à l’heure d’internet et des réseaux sociaux, l’information doit aller vite, la nuance n’est pas de mise, et je réponds déjà, une semaine après votre publication, avec quelque retard !

Je reste persuadé – mais on me dit parfois naïf – que vous êtes convaincus de l’intérêt des vins Bio (pourquoi, sinon, en effectuer une sélection dans Terre de Vins ?), et qu’il n’était pas de votre intérêt de « faire le buzz » en opposant bio et conventionnel, bio et biodynamistes, etc. Comme le montre d’ailleurs le partenariat récent signé entre l’ITAB et l’IFV, ces querelles de chapelle sont heureusement derrière nous.

C’est pourquoi je serais ravi de poursuivre personnellement ces échanges, autour d’un verre de vin bio, car, comme vous le dites, nous aimons le bon vin « en pays gaulois ».

Je vous prie d’agréer, Messieurs, mes cordiales salutations.

Alain REAUT,
Président de la FNIVAB

Réponse de Michel Bettane à Alain Reaut

Cher Monsieur,

J’ai bien reçu, lu et médité votre lettre ouverte à l’intention de Bettane & Desseauve. J’en ai apprécié la modération et le sincère désir de défendre un label que vous dirigez, au nom de tous ceux qui en font partie.
Vous nous reprochez principalement un certain nombre de confusions dans les mots et les concepts et en particulier de mettre dans le même sac agriculture bio, vin bio, vin nature et vin authentique. Je reconnais que vous avez en grande partie raison, même si nous savons évidemment ce que chacune de ces expressions veut dire. Nous aurions pu être plus pédagogiques dans l’article publié par Terre de Vins en demandant à la revue de définir plus clairement son sujet. Mon texte personnel qui a suscité tant de réponses (pas toujours aussi polies que la vôtre) ne les confond pas, mais dénonce justement comment chacune cache l’autre dans le discours même de nombreux viticulteurs qui adhèrent à l’agriculture biologique, et dans celui de ceux qui défendent, distribuent, vendent ou commentent leurs produits.
Cet article destiné à l’origine à un magazine anglais était un texte d’opinion, écrit par un observateur de longue date du monde du vin qui est aussi un citoyen très attaché à la liberté d’expression. Je n’ai pas utilisé uniquement le mot imposture, qui a tant choqué et qui relève du plan de la morale, mais aussi les mots leurre et utopie, qui ne veulent pas dire la même chose et qui se comprennent dans la problématique qui était la mienne, celle de la relation à une réglementation précise, mais insuffisante par rapport à son objet, du moins pour ceux qui conçoivent le concept d’écologie et de développement durable dans toute sa force. Il s’y ajoutait le respect pour une notion aussi progressiste que celle des appellations d’origine et le souci du maintien de la qualité de nos grands vins et de l’information du public, en le mettant en garde contre les innombrables petits mensonges et confusions qui entourent la mode du vin « bio ».
Je crains malheureusement que votre lettre contribue elle aussi à entretenir ces confusions. Personne ne songe à nier la légalité du label agriculture biologique (et désormais, celui du vin bio) qui suit une réglementation acceptée par la puissance publique, sous contrôle d’organismes privés indépendants, dont cette même puissance a défini la mission et accordé la délégation d’autorité. Mais vous le présentez vous-même comme « un signe officiel de qualité », reprenant ainsi les arguments de ceux qui prétendent que les vins certifiés bios sont meilleurs que les autres. Moi-même je ne suis pas le dernier à écrire que les raisins issus d’une agriculture respectueuse, fondée sur une observation intelligente de la nature et un respect du sol et de l’environnement, sont de grande qualité. Mais des raisins produits par des voies différentes, parfois encore plus rigoureuses dans leur cahier des charges, peuvent être tout aussi bons. Bien au-delà de ces comparaisons, ce hold-up sémantique – je ne vois pas comment le définir autrement, et il y en a un second, tout aussi grave, que je dénoncerai plus loin – rend le citoyen perplexe. Il y aurait donc deux vitesses dans les vins d’appellations d’origine, le vin ordinaire et le vin bio, ce dernier porteur d’un signe officiel de qualité ? Le vin ordinaire, dont font partie la plupart de nos produits les plus internationalement réputés, serait-il moins qualitatif que ce vin bio ? Et l’expression « Appellation d’origine protégée » ne serait-elle pas un signe officiel de qualité ? Ne faudrait-il alors pas rendre obligatoire pour tout vin d’appellation d’origine protégée le cahier des charges des vins bios, puisque par définition l’État se doit non seulement de protéger la véracité des origines, mais la qualité de leurs vins ? Reste le problème de fond, de loin le plus important, et au cœur de ce problème un second hold-up sémantique, qui s’inscrit dans une problématique encore plus large qui pourrait se définir ainsi : peut-on faire commerce de vertu ?
Le label AB, même géré par la Nation (ce n’est pas tout à fait exact, puisqu’elle en délègue la surveillance à des organismes certificateurs), même bombardé « signe officiel de qualité », ne peut pas interdire l’existence de concepts définis par les mêmes mots (on n’est jamais propriétaire de noms communs). Le dictionnaire donne à l’adjectif biologique deux grandes définitions : « qui a rapport à la vie et aux organismes vivants » et « qui est caractérisé par la vie ». Il a récemment ajouté une troisième nuance liée à l’écologie, même si notre brave Robert annonce malicieusement son « emploi non scientifique » (tome 1, page 998) : signe de « vie spontanée, naturelle ». L’agriculture bio devrait donc dépasser un simple cahier des charges, défini à l’échelle européenne dans une perspective de compromis, et contrôlé par des organismes certificateurs indépendants des États (intrigante délégation de pouvoir, contradictoire avec la prise en charge directe du contrôle de la dangerosité des produits agro-alimentaires), mais pas du commerce et de ses principes, pour se poser des questions autrement plus profondes : comment définir l’idéal d’un développement durable et comment l’atteindre ?
Tant que le label Agriculture Biologique définissait uniquement la matière première, donc le raisin de départ, le décalage entre label et concept n’était pas suffisamment important pour éveiller les esprits en polémiquant sur la légitimité de la chose. Je continue à penser que la liberté de ceux qui s’accordent le droit de faire appel aux progrès de l’industrie en matière de molécules de synthèse, et de ne pas interdire à la science de travailler sur la transgénèse, va plus loin dans la recherche de la durabilité et de la protection de l’environnement que ceux qui, dogmatiquement, se le refusent. L’écologie intelligente se doit aussi de prendre en compte le bilan carbone. Mais il n’y a aucune raison de mettre en doute la sincérité des uns comme des autres, leur idéalisme et leur dévouement à leur patrimoine. Mais avoir défini un cahier des charges œnologique et, donc, réglementé la vie fermentaire, pour des raisons uniquement commerciales et à la demande des réseaux de distribution, entraîne une distorsion conceptuelle trop importante et, donc, un mensonge public. Tout vin de qualité suit en principe le même parcours fermentaire et peut donc se définir comme issu d’un processus biologique naturel. Limiter règlementairement le vin bio au respect d’un cahier des charges, c’est faire croire au public que tous les autres ne sont pas bios et semer une confusion inutile. Et que dire des vins non certifiés dont le cahier des charges est encore plus strict que celui des vins certifiés parce qu’ils peuvent le vendre à des prix plus élevés permettant une discipline de travail encore plus rigoureuse ? Le jour où l’on indiquera sur une contre étiquette obligatoire les taux de soufre, de cuivre résiduel ou de pesticides de tous les vins, on verra bien que le cahier des charges bio est largement moins contraignant que les normes que se fixent nos plus grands viticulteurs dont certains d’ailleurs pour des raisons fort honorables ont recours à la certification.
Reste le problème moral si important à mes yeux et qui justifie la vigueur de certains de mes propos. Le signe de qualité Agriculture Biologique est un produit commercial. Commercial parce que la certification relève d’un contrôle annuel payant, effectué par des organismes indépendants qui vivent de la chose. Les produits sont distribués par des filières qui ont évidemment un intérêt économique dans cette distribution et qui sont en concurrence d’un pays à l’autre. Je ne suis pas sûr que les normes de production de certains fruits et légumes certifiés soient les mêmes dans chaque pays de la communauté européenne. Je ne suis pas sûr que la distribution n’entre pas dans le capital de certains organismes certificateurs, avec toute l’ambiguïté des conflits d’intérêt qui peuvent naître de leur participation. Cette commercialisation risque à terme de tuer l’image de marque que l’agriculture biologique a voulu créer, c’était la conclusion de mon article. Le moraliste que je suis n’en sera pas inconsolable.

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