Les secrets de la Romanée-Conti par Aubert de Villaine

Le gérant historique du très grand cru bourguignon a livré quelques clés pour mieux apprécier ce vin de légende. Interview réalisée par Nicolas de Rabaudy.

Comment définir l’esprit et le corps de la Romanée-Conti ?

Ce vin, issu du pinot noir fin, est le symbole de ce qu’est un terroir de Bourgogne, ce que l’on appelle un climat, c’est-à-dire un ensemble de parcelles délimitées par l’homme à partir de ses observations sur les sites viticoles. Le goût de la Romanée Conti vient de ces conditions naturelles, ce qui la différencie des autres crus de la Côte (plus de 1 250 climats sur la Côte de Nuits).
À côté de cela, la Romanée Conti est située au centre d’un dispositif (24 hectares) de grands crus : la Tache, logée de haut en bas, la Romanée très en haut, le Richebourg en haut de la Romanée Conti, la Romanée Saint-Vivant vers le bas ; la Romanée Conti au milieu de la côte concentre ces éléments géographiques et géologiques, d’où la qualité spécifique du vin en aucun cas orienté vers la puissance mais vers la finesse et la délicatesse.
Les connaisseurs ont bien compris que l’on était dans un monde différent. La Romanée Conti est à part du fait aussi de sa rareté, entre cinq à six mille bouteilles pour le monde.

En fait, du point de vue de la surface, le plus petit grand vin du globe, 1,8 hectares au-dessus du village de Vosne Romanée ?

Oui. La Romanée, autre appellation, a moins d’un hectare, mais n’a pas la même aura. Il faut dire que le nom de Conti, le prince, relié à l’Ancien Régime, a joué pour la notoriété du vin. Ce patronyme un rien exotique vient d’un village du nord de la France où le premier Bourbon, maréchal de France, a gagné une bataille et, en récompense, il a reçu le titre de prince de Conti. Ce patronyme renvoie à la cour du Roi, à l’élégance, à l’aristocratie françaises, et à la passion constante que les différents propriétaires ont eu pour extraire de la vigne de pinot noir le meilleur vin possible : c’est la dimension humaine faite de volonté, d’implication quotidienne et de respect du terroir. A noter que le prince de Conti l’avait soufflé à Madame de Pompadour en 1760.

Qu’est-ce que vous voulez dire quand vous parlez de la Romanée Conti comme un entêtement de civilisation ? Est-ce une phrase de vous ?

Non, hélas. C’est Pierre Veilletet, écrivain bordelais, qui a forgé ce vocable si exact, si juste, il est l’auteur des Choses du Vin (Éditions Arléa). La phrase entière est celle-ci : « Il n’y a pas de grands vignobles prédestinés, il n’y a que des entêtements de civilisation. » Ce jugement concerne toute la vie et l’Histoire de la Romanée Conti. Cela dit, il ne s’agit pas de nier les spécificités naturelles du vin.

Est-ce que la charge de gérant de la Romanée Conti crée un souci, une angoisse quotidienne, ou un enthousiasme vivifiant ? Votre existence repose-t-elle sur le devenir, l’éclosion annuelle du grand cru ?

Oui, c’est une ambition qui n’est pas stressante outre-mesure. Certes la date des vendanges me pose un problème, chaque fin d’été. Mais un tel vin ne peut que transcender l’homme qui en est responsable. Et puis je n’élève pas que la Romanée Conti. Je fais même de l’aligoté à Bouzeron.

Le goût de rose fanée est caractéristique de la Romanée Conti, pourquoi ?

C’est un parfum, un nez que prend la Romanée Conti avec l’âge. Je dirai un goût de pétale de rose en train de se faner, le bouquet de roses sur le piano des vieilles tantes… Il provient de l’épanouissement de quelque chose qui se passe dans la bouteille : la Romanée Conti jeune revêt un arôme de violette, de vert de fleurs des champs, et ce goût mûrit comme une deuxième maturation (après le raisin sur la vigne) et cela devient de la rose fanée.

De tout temps, le domaine a vendu la Romanée Conti dans des caisses panachées : un flacon pour onze bouteilles de Romanée Saint-Vivant, la Tache, Richebourg, Grand Echezaux et Echezaux ?

Nous avons mis fin à cette façon de distribuer nos vins. Le problème, c’était la Romanée Conti recherchée partout. Il fallait pouvoir répartir les vins du domaine, en évitant la spéculation sur les millésimes de la Romanée Conti. Si on avait cédé la Romanée au prix du marché, il aurait fallu la vendre dix, vingt fois le prix des autres crus du domaine. Avec Lalou Bize-Leroy, copropriétaire, cela nous a paru justifié. L’inconvénient du panachage, c’est que les amateurs achetaient la caisse pour avoir une Romanée Conti, ce qui dévaluait les autres crus, lesquels bénéficient des mêmes soins. C’était malsain. Il y avait des petits malins qui reconstituaient des caisses de douze Romanée Conti, ce que le domaine ne faisait pas : c’était de la spéculation. Elle existe toujours.
Désormais, on vend la Romanée Conti à l’unité à un prix lié à la proportion et à la qualité de la vendange. On essaie de ne la proposer qu’à des gens qui, pensons-nous, ne spéculeront pas : des grands sommeliers de tables étoilées, le Louis XV à Monaco, le Cinq du George V, le Plaza Athénée par exemple.

L’ensemble du domaine produit combien de bouteilles ?

Dans un millésime comme 2008, 45 000 bouteilles. En 2009, 100 000 bouteilles. Ce sont des extrêmes.

Jean Troisgros, chef du trois étoiles de Roanne, très fin dégustateur, préférait Richebourg à la Romanée Conti, le saviez-vous ?

Oui, c’était un grand connaisseur de la cave de Romanée Conti : ce qui lui plaisait dans Richebourg, c’était la puissance, le muscle.

Entre Echezaux et Grand Echezaux, la différence est-elle très sensible ?

Oui. L’Echezaux est un vin qui est issu d’un terroir peu profond, le vin est exubérant. De l’autre côté du chemin, le Grand Echezaux est sur la roche profonde, le vin est élégant, plus ferme, plus lent à se faire. La finesse, elle sous-tend la Romanée Saint-Vivant, proche du style diaphane de la Romanée Conti.

Le domaine de la Romanée Conti est passé en biodynamie depuis quatre ans après une dizaine d’années d’expérimentation, de recherches ?

L’important, c’est surtout que nous pratiquons la culture bio depuis un quart de siècle : on n’emploie aucun produit chimique. Lalou Bize-Leroy, l’ancienne gérante, était très concernée par le respect absolu du terroir, elle a beaucoup œuvré pour l’engagement bio. En fait, on essaie de diminuer au maximum les doses de cuivre qui sont essentielles pour lutter contre le mildiou. On emploie des décoctions de plantes, d’orties, afin que la vigne se défende elle-même contre la maladie. C’est cet aspect de la viticulture raisonnée qui m’intéresse au plus haut point. Et puis la biodynamie exige une observation permanente des vignes. Côté rendements, ils sont plus équilibrés. En 2009, ce fut 30 hectares au lieu de 25 hectares pour d’autres millésimes.

Est-ce que vous goûtez les raisins juste avant la récolte ?

Oui. Cela nous renseigne beaucoup, comme le visuel, les analyses… On goûte la pulpe, la peau et les pépins dont le goût nous guide. Le pinot noir fin, ce sont de petites baies pas trop serrées qui luttent mieux contre la pourriture.

Pour bien apprécier la Romanée Conti dans sa vérité, combien d’années faut-il ?

Je dirai quinze ans. Là, on ne se trompe jamais. On obtient un bon mûrissement, le 1999 est plein de promesses comme le 2005.

En Chine, pays de la contrefaçon, y a-t-il une forte spéculation comme pour le Château Lafite ?

J’avais un peu prévu qu’après les prix fous de Lafite en Chine, la Romanée Conti ferait l’objet de convoitises et d’enchères très élevées. C’est le cas, amplifié par l’extrême rareté du vin comparée à la production bien plus importante des premiers crus de Bordeaux. Ce que nous combattons là-bas, ce sont les faux : la Romanée Conti en Languedoc, les contrefaçons sur Ebay, dans les night-clubs de Pékin, le faux absolu étant le 1947 de la Romanée Conti qui n’a jamais été produit. Nous recommandons aux professionnels de détruire les bouteilles vides.

Crédit photo: Armand Borlant

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