Château-Latour fait cavalier seul. Et alors ?

La décision de Château-Latour de sortir du système de la vente en primeurs à partir du millésime 2012 appelle quelques commentaires. Voici ce qu’en dit Thierry Desseauve :
« Il y a déjà un moment que Château-Latour donne des signes d’indépendance par rapport au négoce bordelais. Là, nous sommes devant la première rupture nette du lien séculaire entre une propriété de premier plan et le négoce de place. Château-Latour en sort alors qu’il est presque au faîte de la puissance des premiers crus de Bordeaux.
François Pinault sait ce qu’il fait. Il est un grand connaisseur – et un acteur majeur ¬- de l’univers des marques de luxe. Il connaît l’importance de la maîtrise du commerce au sens le plus large, réseau de distribution et points de vente. Ce qui signifie aussi que Château-Latour fait son entrée dans cet univers sous l’aile d’un propriétaire emblématique.
On peut également en conclure que les cousins Rothschild et leurs deux premiers grands crus (lafite et mouton) vont confirmer leurs liens avec le négoce bordelais et lui adresser tous les signes d’un partenariat indéfectible. En attendant de voir comment va réagir Bernard Arnault. Il sera passionnant de voir qui va gagner.
»
Mais alors, Château-Latour va-t-il être vendu dans les boutiques Saint-Laurent et Gucci ?
On peut se poser d’autres questions.
Se demander, par exemple, ce qui pousse Château-Latour à agir de la sorte. À la lecture du communiqué de presse de Frédéric Engerer, directeur général de Latour, on pourrait croire que le souci qui le guide est de voir ses vins bus à leur optimum. Bien sûr, bien sûr. Mais nous ne serons pas à ce point naïfs.
On peut se dire aussi qu’il y a une volonté d’accaparer la plus forte proportion de la marge. On peut également spéculer sur la position à terme de Latour dans le grand cirque des vins spéculatifs. Est-ce parce qu’un 2001 est prêt à boire qu’il devient objet de désir, qu’on l’achètera pour le revendre cinq ans après ? Difficile à croire, les plus-values sont trop improbables par rapport à l’achat en primeur. Et les grands amateurs ou les collectionneurs, ces gens riches, mais normaux, dont une part non négligeable du plaisir réside dans la possession de l’objet-bouteille ? Celui qui chaque fois qu’il descend dans sa cave les contemple avec bonheur, qui parfois en remonte une pour voir où elle en est, estimer combien de temps encore il faut lui laisser. Gérard Sibourd-Baudry, fameux patron du caviste Legrand à Paris, va plus loin, il parle de la relation quasiment amoureuse que la plupart de ses clients entretiennent avec leurs bouteilles rares, grands millésimes et grands formats. Ces consommateurs-là existent, évidemment. Ils seront bien aimables d’attendre que le château lâche quelques bouteilles sur le marché ? On peut légitimement penser qu’ils iront faire leurs emplettes chez Lafite, Margaux ou Cheval Blanc, histoire d’avoir quelques jolis cols à caresser.

Time will tell.

Nicolas de Rouyn

 

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