Je me suis refusé jusqu’ici dans une tribune publique de commenter et le livre d’Isabelle Saporta “Vino Business” et les polémiques engendrées par le livre. Il n’est pas dans la nature de mon métier de juger l’activité d’un confrère, le public et les acteurs de l’univers concerné le faisant suffisamment. Mais l’agressivité permanente dont elle témoigne envers les journalistes « spécialisés » dans le vin, à l’exception de ses amis blogueurs et encore, seuls ceux dont la sensibilité est proche de la sienne et qui se voient adoubés d’un brevet de compétence et d’honnêteté professionnelle, me conduit aujourd’hui en tant qu’ancien président de la Presse du Vin à donner moi aussi mon avis sur le sujet. Il me semble fair play de commencer par donner la parole à Sainte Isabelle en citant un extrait de l’interview qu’elle vient d’accorder à Atabula et qui est une auto- proclamation de satisfaction professionnelle comme j’en ai rarement rencontrée dans ma carrière. Qu’on en juge.
« Quand je bosse je vais au fond des choses, tout ce que j’avance a été vérifié, il n’y a qu’à voir le nombre de notes en bas de pages pour le comprendre. » L’ancien universitaire que j’ai été ne peut que pleurer devant la démagogie d’un système qui veut faire croire à un étudiant que la valeur scientifique de son travail et son rapport à la vérité dépend de la taille de sa bibliographie (dans son livre plutôt réduite à quelques remerciements) ou du nombre de notes et références en bas de page. Mais c’est un autre sujet.
Sur le fond, la défense d’Isabelle Saporta est hélas tout aussi partisane que l’idéologie sociale et politique qui l’a conduite à enquêter sur les intérêts particuliers d’une toute petite partie du monde du vin, le monde des « people », qui ne peut intéresser que les obsédés de ce même monde des « people ».
Ou ceux dont l’ambition professionnelle est de faire en quelque sorte leur business du business qu’ils dénoncent. Dès qu’on discute de sa connaissance du sujet, l’attaque devient « sexiste » et l’argument une « insulte ».
Mais que dire alors de ce petit bout de prose ?
« Les grands châteaux du bordelais n’avaient qu’à lever le petit doigt pour faire réagir leur cour de journalistes totalement dépendants de leurs invitations et attentions particulières. Peut-on encore parler de journalistes quand ils vivent au crochet des propriétaires (…) et des bouteilles hors de prix et dégustations privées » Outre que je ne vois pas beaucoup de notes en bas de pages pour prouver ce qui est ici dénoncé, on ne peut pas ne pas sentir l’idiotie d’une caricature encore plus forte que celle dénoncée chez ses détracteurs. Pire encore et sans faire de mauvais esprit : « Mais à la moindre critique, vous êtes évincés et vous pouvez dire au revoir au faste et au luxe ». Dois-je comprendre que c’est l’expression d’un regret ? Et cela continue de plus belle : « S’il est blackboulé par les principaux châteaux difficile pour lui de pouvoir assurer la rubrique Vins de son magazine au risque de « perdre son job ». Mon dieu, quelle vision enfantine d’un monde infiniment plus adulte et complexe. D’abord, il resterait au journaliste « blackboulé » à travailler sur les 98 % restants de la production, celle qui justement fait l’objet d’une commercialisation intéressant au moins 98 % du public. Et peut-on croire un seul instant que les soi-disant bénis oui-oui de la profession aient la moindre importance aux yeux de ces mêmes grands châteaux et du public concerné ? Leur existence fait partie de l’existence même d’une activité de relation publique qui elle-même fait partie d’un univers où l’information est libre. Seuls ceux qui justement conservent et exercent leur esprit critique ont une vraie crédibilité chez les producteurs et dans le public parce qu’ils sont perçus comme compétents en la matière et non pas des touche-à-tout qui s’imaginent qu’avec trente interwiews sur trois mois, ils ont fait le tour de la question. L’investigation, la vraie, est une trop noble chose pour qu’on la confie à des Narcisses (des deux sexes, je précise) de la dénonciation ou à des idéologues qui confondent en permanence l’information qui ne néglige aucun fait et le combat politique qui fait qu’on ne choisit que ceux qui l’arrangent.