Le chenin blanc reste le plus méconnu de nos grands cépages blancs et je ne suis pas sûr que la mode des vins « rebelles » (et l’affection de certains amateurs pour les vins de cette catégorie) lui rende vraiment justice et compense l’ignorance de la majorité. Ma récente visite au Salon des Vins de Loire (de plus en plus en plus concurrencé par les salons « off » qui ont lieu les mêmes jours) ne m’a pas vraiment rassuré à ce sujet. Certes, il y a de réels sujets de satisfaction.
Le plus important et de loin est la renaissance des blancs secs de Saumur. Quand j’étais jeune journaliste dans les années 1980, je voyais avec désespoir les vignerons arracher le chenin sur d’admirables coteaux calcaires comme ceux de Montsoreau ou de Turquant, pour les remplacer par des cabernets francs qui y mûrissaient beaucoup moins bien. Les vins blancs se vendaient très mal, souvent en vrac dans des bidons plastiques apportés par les acheteurs eux-mêmes et il faut hélas dire que c’était normal car, sur ces terroirs exceptionnels, ils étaient maladroitement vinifiés, plus ou moins secs, abîmés par des doses de SO2 excessives. Mais les grappes récoltées roses de cabernets trop productifs donnaient des champignys encore plus médiocres. Il demande en effet des sols plus marneux pour donner de beaux rouges, ce qu’il trouve évidemment dans le terroir d’origine de l’appellation, la cuvette de Champigny, Parnay et Varrains.
Le triomphe des rares blancs bien faits comme le clos-rougeard produit sur la côte de Brézé a heureusement donné confiance à la nouvelle génération de vignerons, mais elle n’a pas immédiatement trouvé le juste style. Elle a trop souvent abusé du bois neuf avec l’ambition d’égaler et même de surpasser les bourgognes et vendangé dans cette intention des raisins trop mûrs ou contenant une trop grande proportion de pourriture plus ou moins noble. Quelques conseillers œnologiques naïfs lui ont conseillé de laisser faire la fermentation malolactique, pensant être ainsi plus proches de la « volonté » de la nature, ce qui donne souvent des vins lourds, abâtardis par une vie fermentaire trop longue, parfois même oxydative, et marqués par des notes lactiques contraires à l’esprit de la craie sur laquelle pousse la vigne.
Nous connaissons aujourd’hui l’importance pour d’autres cépages de Loire d’un potentiel aromatique porté par l’acide malique du raisin. Mais il suffisait d’ être d’abord bon dégustateur pour le comprendre et je suis ravi que Thierry Germain, Jean-Pierre Chevallier, Mathieu Vallée, Arnauld Lambert et bien d’autres l’aient compris. On retrouve le grand vin typé de Saumur, intense, sec, vraiment digne d’être qualifié de minéral, en quelque sorte la réplique d’un chablis grand cru sur la craie saumuroise, mais avec toute l’énergie du chenin liée à son acidité, même avec des raisins très mûrs. Mais en Anjou, lieu de naissance sans doute du cépage, quelle catastrophe. Les vins les plus à la mode sont les plus épouvantables car les plus déviés, les plus déséquilibrés, au point même que leurs producteurs sachant trop bien qu’ils seraient éliminés en dégustation préalable les font sortir de l’appellation contrôlée et se replient en vin de table. Entre la choucroute trop vieille, la croûte de fromage, le beurre rance et le levain éventé, vous avez le droit à toutes les nuances apportées par des levures folles dans leur parcours érotique fermentaire incontrôlé, à qui je donnerai volontiers le nom « d’amour vache ».
Ces vins aberrants ne sont pas cependant une fatalité. L’admirable Jacky Blot à Montlouis apprend depuis de longues années à bien connaître ses levures indigènes et a eu le courage de sélectionner les meilleures pour assurer une fermentation régulière respectant toute la complexité d’un raisin issu d’une viticulture intelligemment respectueuse. Ses merveilleuses cuvées Remus et son sublime vouvray Clos de Venise devraient servir de modèle à tous nos vignerons « rebelles ». Mais quelle tristesse d’entendre les critiques adressées à des maîtres viticulteurs et vinificateurs comme Florent Baumard, dont la dégustation verticale de dix millésimes de savennières Clos Saint-Yves ou Clos du Papillon m’a vraiment laissé sans voix. Quelle admirable expression de ces sols schisteux, si adaptés au chenin, mais si dangereux en raison de l’excès d’amertume qu’ils donnent au vin quand on ne sait pas presser convenablement le raisin ou quand la vendange n’est pas vraiment mûre. J’ai retrouvé dans les étonnants 2006 et 2007, toujours à la vente, la même extraordinaire alliance entre le miel et le salé minéral que celle qu’on admire dans les grands chablis de Raveneau avec peut-être encore plus d’ampleur et de longueur en bouche. Sans parler d’un 2002 d’anthologie qui sublimera les plus beaux saumons de Loire, si vous avez la chance d’être en Anjou à la bonne époque et dans le restaurant qui connait ses fournisseurs. Quant aux liquoreux, c’est encore une autre histoire…