Chablis, le modèle à suivre

Demandez à n’importe quel amateur dans le monde de citer un vin blanc français et le nom de Chablis lui viendra sans doute en premier à l’esprit. Cette cote de popularité ne doit rien au hasard. Décryptage


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Un seul cépage
Depuis la naissance des appellations d’origine, les Français ne jurent que par le terroir. Sauf que les consommateurs du monde entier ne connaissent, eux, que le cépage. Et justement, le chardonnay à l’honneur dans tous les vins de Chablis est l’un des plus connus, si ce n’est le plus apprécié, avec le sauvignon. Miracle bourguignon, qui dit cépage unique ne dit pas standardisation du goût. À partir d’un même terroir sont produites chaque millésime des centaines d’expressions différentes du vin de Chablis. Certes, il faut prendre en compte le découpage parcellaire, mais d’autres critères entrent en jeu, comme le choix de la date de vendange, le type de vendange (manuelle ou machine), la vinification (cuve ou inox), la longueur des élevages, la capacité à se projeter dans le temps, etc. Sans parler du type de viticulture pratiqué, pourtant fondamental.

Une hiérarchie simple
Autre point fort, la hiérarchie des appellations et sa facilité de lecture pour l’amateur comme pour le néophyte. Dans une Bourgogne où plus de cent appellations cohabitent, source d’approximations même pour les professionnels aguerris, lire l’étiquette d’un vin de Chablis est un jeu d’enfants. Tous les vins portent en eux le même patronyme, aussi bien le petit-chablis que le chablis au niveau générique, premier ou grand cru. Et contrairement à la Côte-d’Or, où les trente-deux grands crus bénéficient chacun de leur propre appellation, il n’y a qu’une seule appellation grand cru à Chablis, déclinée elle-même en sept climats (Les Clos, Blanchot, Vaudésir, Grenouilles, etc.). Cette hiérarchie transparente joue indéniablement en faveur de la géante de l’Yonne.

Des marques fortes, des vignerons stars
Toutes les familles du vignoble bourguignon sont présentes à Chablis de façon équilibrée. Les vignerons bien sûr, avec des domaines stars (Raveneau ou Dauvissat pour les deux icônes) et d’autres qui le deviendront (château de Fleys, domaine Laroche, domaine William Fèvre, etc.). Un négoce fort qui connaît l’importance des vins de Chablis à l’export. Plutôt Beaunois à l’origine, ce négoce n’hésite d’ailleurs pas à s’enraciner en Chablisien pour y devenir vigneron (Louis Latour avec la maison Simonnet-Febvre, Albert Bichot et le château Long-Depaquit, etc.). Enfin, la bonne santé de l’appellation doit aussi beaucoup au rôle joué par La Chablisienne, cave coopérative solide et ambitieuse qui produit près du quart des volumes de la région. Qui ouvre une bouteille de chablis n’a pas cette grille de lecture en tête, mais cette organisation contribue à la réussite des blancs de Chablis en faisant se côtoyer des volumes importants dont les marchés ont besoin avec des petites productions de petits domaines aux ventes contingentées. Tout cela sous le même nom, au service d’une même marque.

De quoi rayonner (malgré une météo sans pitié)
Certes, tout n’est pas rose. Vignoble septentrional régulièrement affecté par le gel ou la grêle, le Chablisien subit comme les autres régions françaises le dérèglement du climat et les caprices de la météo. Pas plus tard que ce printemps, Chablis a subi successivement des inondations avec la crue du Serein (en mars), quelques gelées sur les première feuilles (fin avril) et un terrible orage de grêle dans la soirée du 1er mai qui a ravagé plusieurs milliers d’hectares, anéantissant les espoirs de récolte dans les secteurs touchés (Fontenay-près-Chablis, Villy ou La Chapelle-Vaupelteigne). Funeste millésime pour quelques domaines, certes, mais tout le vignoble n’a pas été impacté dans les mêmes proportions. Surtout, les caves sont pleines du généreux millésime 2023. Pas de pénurie à l’horizon.

Un goût intemporel
On l’a compris, avoir une offre claire, lisible et compréhensible est un atout incomparable. Pour autant, qu’est-ce qu’un vin de Chablis ? La réponse est sans équivoque : on dira presque toujours de lui que c’est un blanc et qu’il est sec. Pas de déclinaisons en rouge ou rosé, jamais de sucres dans les vins. D’autres régions comme l’Alsace, par exemple, n’ont pas cette clarté. Comment résumer efficacement la nature du vin d’Alsace sans être obligé de préciser le cépage, le type de sols, le niveau de sucrosité, la couleur (même orange désormais), etc. Le modèle le plus proche de Chablis est celui de Sancerre, même si blancs et rouges cohabitent dans l’appellation du Centre-Loire. Là-bas aussi, un seul cépage, un même type de sol. La comparaison est d’autant plus amusante que les deux régions sont seulement distantes d’une centaine de kilomètres, toutes deux soumises aux dernières influences du climat océanique, toutes deux assises sur un même socle de craie kimméridgienne, qui apporte dans les vins de Chablis quand ils vieillissent cette réduction si prisée, reconnaissable par ses saveurs iodées (coquille d’huîtres) et récapitulée (un peu sommairement) sous la notion de minéralité. Si le goût du vin est simple à définir, il est aussi facilement reproductible. La marque Chablis est sans doute celle de vins blancs la plus contrefaite au monde, en dehors du cas particulier du champagne. Difficile d’estimer l’ampleur de cette production illégale, mais il se murmurait au début de ce siècle que pour une authentique bouteille de Chablis, six fausses étaient en circulation dans le monde, contenant d’ailleurs un vin pas forcément sec ni même blanc ni même toujours issu de chardonnay. Comme s’en amusait Oscar Wilde, « l’imitation est la forme de flatterie la plus sincère ».

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