Antoine de la Farge, les débuts d’un styliste

Domaines de l’Ermitage, Chavet et Guillemain dans le Centre-Loire, maison de vins à son nom, Antoine de la Farge a des idées sur tout et une vision de ce qu’il doit faire

par Valentine Sled

« Je ne voulais pas être vigneron, mais travailler pour des grosses boîtes », affirme Antoine de la Farge avec ironie, le regard porté sur son cher clos de Renadin, son coin préféré de Menetou-Salon. Il y baigne depuis tout petit. Son grand-père maternel était l’un des fondateurs de l’appellation. C’était en 1959. Formé en œnologie, puis acheteur chez les cavistes Nicolas, ce quarantenaire réalise tardivement que sa place est sur ses terres natales. Vigneron sans vignes, il crée d’abord sa maison de négoce en 2015, définit le style des vins qu’il aime, commence à écrire son histoire. En 2019, il achète le domaine Chavet et ses 30 hectares de vignes bien situés en menetou-salon, avant de faire l’acquisition du domaine Guillemain (quatre hectares à Reuilly). Fin 2022, il reprend les rênes du domaine de l’Ermitage. C’est son héritage, ces 13 hectares ont été plantés par ses parents dans les années 1980. La force de ce terroir réside dans ses marnes kimméridgiennes. Ces huîtres fossilisées confèrent aux vins une salinité unique. Antoine l’a compris et fait des recherches sur les élevages de ses vins (entre six et vingt mois), mais aussi sur les contenants. « La clé, c’est de les adapter au terroir. » Comme un parfumeur, il évalue leur influence, les réajuste comme un couturier. Il est partisan des cuvées parcellaires et chaque millésime a son traitement particulier pour obtenir un style défini et une constance d’une année sur l’autre. Très à la mode et pratiqué autrefois par les frères Chavet, le bois n’est pas son idole. Il jette plutôt son dévolu sur les amphores, les préférant pour leur porosité. Le grès, pour les sauvignons blancs, ou la terre cuite, pour les pinots noirs, sont selon lui un gage de fraîcheur. Les deux matières sont des révélateurs de leur plus pure expression de leurs terroirs. Leur combinaison (grès et bois) est encore meilleure. Il s’y est risqué avec le clos de Coquin, un terroir plus argileux que calcaire, qui donne naturellement au vin une rondeur naturelle qui méritait un élevage droit avec un peu de patine. Sa justesse séduit.

Construire demain
Tout l’enjeu porte sur la précision des maturités pour obtenir un vin éclatant sans tomber dans l’opulence du sauvignon. La fenêtre de tir est étroite. Une semaine suffit pour passer d’un grain trop végétal à surmûri. Le millésime 2023 a été particulièrement délicat. Un gros orage a retardé la maturité, imposant l’interruption des vendanges pendant dix jours. Antoine l’avoue lui-même, ses études scientifiques n’y font rien : « Il faut savoir accompagner ce processus mystérieux et naturel qui s’opère chaque année ». Voilà plus de dix ans maintenant qu’il explore la vigne de Menetou-Salon sous tous ses aspects. Avec un million de bouteilles produites chaque année, dont une grande partie est exportée, surtout au Canada, les résultats des quatre domaines sont rassurants. De quoi lui donner envie de les emmener plus loin. Un chai est en construction au domaine Chavet, avec des cuves béton toutes neuves et un approvisionnement par gravité pour préserver le raisin, éviter l’oxydation des blancs, conserver les tannins fins des rouges. Dans la région, le pinot noir développe depuis peu des maturités plus flatteuses qu’autrefois, combinées à cette salinité typique et salivante. Le vigneron la recherche : « Quand on salive, on est heureux ». Les rosés, remarquables, sont issus de parcelles qualitatives choisies pour leurs atouts et non pour leurs défauts. Les pinots gris de Reuilly sont flamboyants et les vins de négoce, bluffants par leur niveau de qualité et leurs prix dérisoires. En soldat de l’ombre, Antoine de la Farge ne signe que ces derniers. Celui qui ne voulait pas être vigneron a trouvé sa vocation. Parti de Menetou-Salon à 17 ans, revenu à 31, ses valises vont rester immobiles.

 

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